une autre façon de décrire tigrOU

par Christophe Hanna

Lorsque nos actions se répètent, se règlent, se transmettent, deviennent des pratiques à part entière, elles produisent fatalement des images d’elles-mêmes. C’est ainsi qu’elles s’institutionnalisent, fût-ce modestement, deviennent des formes d’agir collectives qu’on peut légitimer, des objets de discours et d’étude.

Mais en se figeant ainsi en “images institutionnelles”, paradoxalement, nos pratiques s’opacifient et s’éloignent de nous. Qui n’a pas fait cette expérience de fausseté, de dissonance entre l’image qu’une institution (se) donne d’elle-même et  l’expérience que nous pouvons en faire en tant qu’agent ou usager. Qui n’a pas ricané ou été interloqué en entendant par exemple les devises de Google ou de FranceCulture, en regardant les photos de bigmacs et leurs légendes sur la carte du Macdo .

Ce constat tout simple est à l’origine d’attitudes ou de méthodes critiques diverses en art et sciences humaines : on peut refuser ces images, les bloquer, les retourner contre leur origine (par exemple dans la poésie dite “blanche” ou “l’art institutionnel”), faire la critique de leur économie ou de leur généalogie, de leur logique (et rendre ainsi la “réalité inacceptable” ou pointer ce qu’elles contient de non-sens ou d’archaïsmes politiques), déconstruire les idéologies qui les informent. Refuser les images, les saboter, construire des images alternatives…

Les ateliers Tigrou ont adopté une autre approche : puisque nos pratiques ne sauraient montrer ce qu’elles sont globalement ni donner d’elles des vues synthétiques satisfaisantes, claires et complètes, cherchons à connaître ce que font de l’intérieur ceux qui s’y adonnent malgré tout : par quelles séries d’actes tâtonnants, par quelles techniques personnelles ad hoc ces usagers dans le flou parviennent-ils concrètement à activer les institutions dont ils se servent (ou qu’ils servent) ? Que fait-on réellement quand on s’organise pour optimiser son travail ? quand on négocie ? Quand on perce à jour les intentions cachées de nos supérieurs hiérarchiques ? Quand on proteste officiellement ? quand on évalue un collègue ou conteste une évaluation  ? etc. De là vient la notion de technologie intellectuelle : un art du faire individuel, singulier et tactique qui cherche à agir dans des contextes où les règles de fonctionnement ne peuvent pas être communiquées de façon fiable et transparente.

Au lieu, donc, de chercher à  re-cartographier l’institution, on examinera ici la variété de ces technologies intellectuelles. On se demandera comment les représenter avec une finesse suffisante, comment les répertorier et en faire l’histoire. Un travail qui s’apparente donc plus au carottage localisé de certaines zones opaques du pouvoir.