atelier des recherches #3

Coaching bonheur dans un monde en ruines

Dans le cadre du projet Voyages dans les systèmes obscurs, Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon explorerons les dernières méthodes de Coaching “bonheur” et les problèmes que pose la psychologie positive dans le contexte de la crise environnementale actuelle. Entre conférence et performance, ils proposerons des exercices pratiques pour expérimenter collectivement les dernières méthodes de recherche de bienveillance en terme de coaching et d’intelligence artificielle. La conférence sera illustrée d’extraits de films en référence à l’histoire de la psychologie positive, aux idéologies des mouvements New Age, et à leur influence dans les domaines du marketing et du greenwashing.

Voyages dans les systèmes obscurs est un atelier laboratoire qui propose des enquêtes dans des systèmes techniques invisibilisés. Il s’agit d’explorer les rouages cachés, les infrastructures et réseaux de pouvoir globalisé, devenus de plus en plus obscurs. Visiter l’invisibilisation.

Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon conduisent des enquêtes en fouillant Internet, dérivent dans l’espace de l’hyperinformation, racontent des fables post-cybernétiques, bricolent des modes de vie alternatifs, sous la forme de films, de livres et d’installations.

Retrouvez le travail de Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon sur leur site.

voyages dans les systèmes obscurs

voyages dans les systèmes obscurs

Gwenola Wagon Bonjour et merci Jean et merci au Cercle Garmeski de nous inviter. Pardon, excuse-moi. Et donc, "Voyage dans les systèmes obscurs", c’est un peu la proposition qu’on a faite à Jean sur la proposition de participer à Tigrou, en se disant que ça pouvait vraiment bien se rencontrer. Donc en fait, c’est un projet de recherche qui est en cours, dont on va parler à travers d’autres projets qu’on a déjà réalisés pour aussi montrer une sorte de démarche. Mais le processus étant de partir du constat que la plupart de notre travail se faisait sur des enquêtes à partir de systèmes techniques assez complexes et rendus parfois difficiles à comprendre et à décrypter et même à s’y intéresser. Parfois des systèmes qui n’intéressent pas du tout les gens parce qu’ils ne sont pas peut-être, ou parce qu’ils sont mal compris. Et donc on a fait tout un projet depuis longtemps sur les réseaux internet, les data centers dont on va parler, etc. Et on s’est dit que ce qui nous intéressait c’était de continuer ce projet en faisant une collection de tours, de visites, de visites guidées dans des lieux auxquels on n’a pas toujours accès, pour visiter vraiment les lieux qui parfois posent le plus de problèmes. ça allait de... voilà, et là du coup on va montrer des images. Donc le texte, redit un peu mieux ce que je viens de dire, donc c’est un atelier laboratoire qui propose des enquêtes dans des systèmes techniques invisibilisés et qu’il s’agit d’explorer et notamment beaucoup concerne des infrastructures logistiques qui sont cachées dans les rouages qu’on appelle la société nuage, dont on va parler un peu après, et qui peuvent aussi parler de réseaux de pouvoir globalisés. Et pour les visiter, on fait appel à des artistes, donc là on est un peu curateurs, et ces artistes, l’idée c’est de les inviter à intervenir pour emmener des gens, en quelque sorte, à aller voir ce qui s’y passe. Là on vient de voir un projet de Mario Santa Maria qui s’appelle Internet Tour, où en fait il amène des groupes se rendre compte des infrastructures d’Internet qui sont très physiques puisqu’elles occupent l’espace. Et il a créé ce bus qui s’appelle Internet Tour. Et là c’est des visites d’entrepôts de type Amazon qui sont en train de se construire. Et puis après on a toute une série d’autres... Donc là c’est un Corrupt Tour, chaque dimanche à Mexico City on fait un tour de la corruption. à Prague, Corrupt Tour de Prague. Et là c’est un Toxic Tour qui a été réalisé par des artistes avec qui on travaille à Romainville, et artistes, écrivains, éditeurs, qui invitent les gens du Toxic Tour à Romainville. Tu me corriges Stéphane si je dis des bêtises ?

Stéphane Degoutin Non mais peut-être juste pour compléter ce que dit Gwenola. Donc tout ce projet "Voyage dans les systèmes obscurs", c’est un projet qu’on pourrait appeler un projet curatorial. En fait on va réunir des projets qui existent déjà, faits par d’autres artistes, qui existent mais qui sont chacun dans des dimensions un peu différentes et qui ne se rencontrent pas toujours.

Stéphane Degoutin C’est plutôt un projet éditorial ou curatorial pour essayer de mettre ensemble des démarches qui visent à rendre visibles les infrastructures qui sont peu visibles, pas forcément invisibles, mais qui sont essentielles dans la fabrication du monde dans lequel on vit et notamment qui vont déterminer pour ce qui est d’internet mais aussi les anthropologistiques Amazon par exemple ou alors ici chez Eric Rekben Offshore Tours, ce sont des voyages organisés dans la finance offshore, donc on va visiter physiquement les lieux dans lesquels se passent les opérations de finance offshore et donc c’est plein... En fait on s’est rendu compte qu’il y a beaucoup d’artistes comme ça qui ont travaillé sur le fait de rendre visibles ces systèmes qui sont... et c’est des visites qui sont assez paradoxales parce que c’est des systèmes qui ne sont pas très sexy à visiter, c’est pas toujours très... voilà, c’est pas très intéressant en tant que visite, mais il faut trouver des manières de rendre ça concret et le fait de faire des voyages organisés nous semblait assez intéressant en complément bien sûr de toute la littérature qui peut exister. On a bien sûr mis aussi dedans le livre de Jean Gilbert XX.com qui est aussi une sorte de voyages organisés dans un système qui est celui des cam-workers.

Gwenola Wagon Et aussi des artistes qui travaillent sur des projets à travers des écrans, parce que certaines visites se font aussi en ligne, ou celui-là sur l’agriculture intensive numérisée, ou devenue technonumérique, et les problèmes que ça pose. et cet artiste, enfin chercheur, qui travaille aussi sur... Il s’agit d’interroger les données...

Stéphane Degoutin Les dark kitchens, non ?

Gwenola Wagon Lui il travaille aussi sur les dark kitchens et un voyage à travers les données à partir d’internet, en enquêtant à partir d’internet, un peu en... Je passe après sur les dark kitchens parce qu’on n’a pas trop le temps, on va passer un peu... et aussi ces artistes Mathieu Raffard et Mathieu Droussel avec qui on travaille, qui proposent d’interroger les trottinettes en free floating, en libre-service, celles qui ont fait l’objet d’un vote dimanche à Paris, et qui donc ont été bannies, enfin en tout cas avec le nom là en porté, et eux proposent de décortiquer un peu ce type de mobilité en réseau qui pose énormément de problèmes, et d’analyser par le biais de l’observation fine, détaillée, à la manière d’archéologues qui démontrent des outils, qui analysent toutes les pièces détachées, d’où elles viennent, comment elles sont apparues, et comment elles créent parfois des formes d’obsolescence de ces moyens de transport. Et tous les problèmes que ça peut poser en étant dans une observation extrêmement fine. Et jusqu’à même les péchés. Donc là on a fait une séance de pêche avec eux mercredi dernier, une pêche collective, et ça c’est les résultats de nos pêches. Et on a aussi pêché un vie libre au canal de l’Ourc. Donc là c’est... Donc en fait chaque visite prend plein de formes différentes, qui peuvent être des conférences in situ, des choses qui sont plus de type classique, mais parfois plus performatives, et implique aussi des moyens de transport assez différents suivant les invités. Et ils font en fait pour nous, c’est un peu dans la continuité de projets qu’on a fait depuis un certain nombre d’années. Comme celui-ci qui s’appelait "Musée du terrorisme" en 2013, où on invitait un acteur, performeur à parler à l’intérieur de Roissy, un groupe qui était muni d’audio guides et qui ne devait donc entendre sa parole qu’à travers un casque, et à parler des problèmes de surveillance de l’aéroport, tels qu’ils vont se poser après le 11 septembre 2001, et tels qu’ils ont de plus en plus, en quelque sorte, créé un lieu qui s’appelle l’aéroport international, et la manière dont ce lieu est devenu une forteresse extrêmement difficile à utiliser, et en réseau. Enfin voilà, j’abrège un peu mais... Et donc ce livre dont... que Jean a montré tout à l’heure, "Psychoanalyse de l’aéroport international", à travers... suite aux visites qu’on avait pu faire de l’aéroport et aux explorations qu’on a pu y faire, travail sur place, in situ, à la manière un peu d’anthropologues, on a écrit ce livre qui met l’aéroport sur une sorte de table de vivisection et qui en fait... et l’idée était d’en faire un peu une analyse globale de tous ces tabous et de toutes ces "névroses". Alors on avait donc des titres et puis à chaque fois une enquête, chaque chapitre c’est un peu une enquête. Ça va de la compulsion de normalité à l’angoisse de la contamination, à l’état limite humain-machine, au corps transparent dans le scanner intégral. C’était suite aux nouveaux scanners à l’époque qui étaient utilisés dans les aéroports. Aux failles dans l’omniprésence, à la bulle de consolation parce que plus l’infiltration dans les corps s’opère, plus le corps a besoin de consolation. Donc il y a des espèces de mouvements de balance comme ça, entre se rassurer, s’angoisser. le retour du refoulé, donc c’est un chapitre sur les trafics, et les crises d’hystérie dans la file d’attente, donc là c’est un travail qui a donné lieu à des pièces sur le moment hystériques, ou le moment où on peut péter un plomb, ou on est sur le point de péter un plomb sans pouvoir le faire, mais on aimerait le faire, dans des moments d’attente ou de difficulté dans ce type de lieu, jusqu’au spectate... lapsus... jusqu’au passager scotché, qu’on a pas mal vu pendant le Covid, puisque c’était utilisé dans des compagnies comme Ryanair lors de passagers un peu turbulents, avec du gaffeur. Et au moment aussi, comme on a tous vécu, qui sont le moment de palpation et d’exhibition directement aussi des corps dans l’aéroport.

Stéphane Degoutin L’aéroport nous semblait un endroit intéressant, puisque pour nous c’est vraiment une sorte de... L’aéroport c’est comme si on avait une exagération à la fois des promesses du monde dans lequel on vit, promesses de circulation illimitée, de consommation absolue, d’organisation parfaite, et à la fois des promesses qui se heurtent sans cesse à leur contradiction, avec les dangers que ça soulève, etc., les frustrations, l’impossibilité de consommer les produits hors de prix qui sont vendus, et comme si ça faisait un espace de névrose, donc en confrontant les promesses et leurs contradictions, comme si c’était des névroses qui emblématisaient d’une certaine manière le monde dans lequel on vit. Donc c’est un peu l’idée du livre "Psychanalyse de l’aéroport international" de voir tout ce qui se heurte dans ce lieu, qui en fait un lieu symbolique. Et donc, par la suite, ces tentatives d’immersion dans des systèmes techniques un peu complexes, on l’a aussi réalisé avec un film qui s’appelle "World Brain".

Gwenola Wagon On va vous... de celui-là. Et donc Wordbrain c’est un film qui a été réalisé en 2015, enfin en gros entre 2014 et 2015, et qui commence comme un documentaire sur ces systèmes techniques dont on a parlé, qui sont surtout l’infrastructure d’internet et sa physicalité.

Extrait de film Les données.

Stéphane Degoutin Petite parenthèse, l’image qu’on voit ici montre du multiplexage, on retient juste le mot pour l’instant.

Extrait de film qui était stocké dans les disques durs sous forme magnétique, sont transformés en lumière par des processeurs qui affectent à chaque signal une longueur d’onde spécifique. Ils sont ainsi capables d’envoyer simultanément des centaines de messages différents sur une seule fibre et à 200 000 km/s. Je ne veux pas le voir. [Bruit de vent] [Bruit de machine à éclat] [Bruit de machine à éclat] [Bruit de la machine à éclat] [Bruit de machine à éclat] [Bruits de machines] [Bruits de machines] [Bruits de machines] [Musique] C’est ici que nous vivons. [Musique] C’est dans ces fermes de serveurs que sont stockés nos amis Facebook. Les articles que nous consultons, l’historique de nos requêtes Google, nos images, nos vidéos, nos e-mails, nos blogs, nos activités sociales et économiques. Tous les éléments de notre vie en ligne, c’est-à-dire de notre vie tout court. De la poussière d’humains, des fragments, de la poudre. C’est dans ces espaces que sont calculées nos informations vitales. C’est ici que nous faisons nos achats, que nous sommes mis en relation avec d’autres humains. Ces traces se combinent avec d’autres traces. Elles sont transmises, recopiées, répétées, agrégées, recombinées entre elles, que ce soit par des algorithmes ou par des humains. Nous sommes devenus Internet. Nous nous sommes externalisés. Les données informatiques vivent archivées dans des serveurs, alignées dans des data. Elles sont disséminées à travers le monde, perdues dans on ne sait quel banlieue, si tant est que l’on sache même dans quel pays. Leur espace forme une seule entité, s’étendant sur toute la planète, identique partout dans le monde. C’est un espace de contrôle absolu, le lieu le plus extrême de l’univers artificiel. La lumière y est invariable. Le climat extérieur, mis à distance, est remplacé par une température et un taux d’humidité contrôlés. La ventilation en circuit fermé empêche l’introduction de la moindre poussière. Toute perturbation est exclue de cet environnement inorganique, à commencer par les végétaux et les animaux. Tout comme nous tentons de reconstituer dans les eaux l’environnement naturel de telle ou telle espèce, construisons un milieu parfaitement adapté aux besoins des entités qui peuplent les réseaux informatiques. Et en effet, ce milieu est tellement...

Stéphane Degoutin Je laisse les images, mais je vais couper le son. Ce qu’on voulait faire à l’époque dans le film, alors le film comporte plusieurs parties qui sont très très différentes les unes des autres, mais cette partie-là vise vraiment à désigner l’espace de stockage des données à travers le monde et à le montrer, à le rendre visible. Pour ça, en fait, c’est un film qu’on a filmé de manière très très hybride, c’est-à-dire c’est à la fois des images qu’on a tournées nous-mêmes dans les data centers et puis d’autres images qu’on a récupérées sur internet. Et le film joue beaucoup sur cette ambiguïté où on ne sait pas vraiment quelle est la source des images. Enfin, c’est plus parlant vers la suite, mais c’est un… c’est un mode d’enquête qui, en tout cas, pour nous est très utile, d’être vraiment, de fouiller sur internet toutes les images qu’on peut trouver.

Gwenola Wagon C’est-à-dire que la démarche du film, c’était de combler le déficit de ce qu’on ne pouvait pas filmer et les endroits où on ne pouvait pas aller par une enquête d’archives. Qu’on a beaucoup fait, en fait, par ailleurs, et souvent ça a été des films impossibles, notamment on ne peut pas filmer tous les data centers, ni aller au fond des océans pour suivre la pose d’un cap sous-marin, ou en tout cas pas tout ça d’un coup en un seul film. Et donc il y a l’idée de montrer un système global, et pour en montrer la globalité, d’aller chercher par l’archive des espaces manquants. Mais il y a tout un site qui s’est fait ailleurs, avec l’accès aux sources, où toutes les sources sont répartoriées. Et donc il y avait quand même un double du film en ligne. Le film en fait, progressivement, il va déraper de plus en plus pour aller vers une fiction, enfin une spéculation. Et parallèlement à ce documentaire, on va suivre la vie de chercheurs qui partent dans des forêts pour créer un réseau alternatif, en se basant sur des savoirs un peu libres, sur internet, type Wikipédia, et en postulant qu’avec ce type de connaissances il pouvait se passer de pas mal de choses et vivre dans une sobriété la plus grande. Donc c’est un peu une sorte de fable, parabole, comme ça. et ces deux histoires vont s’entrelacer pour se tisser de plus en plus vers la fin du film. Jusqu’à aller vers des choses un peu délirantes qui vont commencer à faire, etc. Donc ce film commence un peu sérieusement, avec une voix très sérieuse, on pourrait dire un peu rébarbatif, et progressivement nous enfonce vers quelque chose de plus en plus spéculatif au fur et à mesure des chapitres. Donc voilà.

Stéphane Degoutin Et je précise aussi que le film est entièrement visible en ligne gratuitement quasiment tout ce qu’on fait on le met en ligne gratuitement sur notre site www.fr comme on est souvent financé avec des fonds publics on considère que ça n’a pas de raison de rester secret

exercice 1 : videz votre cerveau

exercice 1 : videz votre cerveau

Stéphane Degoutin Sans plus attendre, nous allons passer au premier exercice de coaching bonheur. Donc transition brutale. Vous aurez compris peut-être dès la première slide de cette présentation qu’on va osciller entre deux dimensions très différentes, une dimension obscure et une dimension bonheur. Donc une dimension rébarbative et une dimension étrange aussi. Donc voilà. Mais tout va... Donc on va proposer un petit exercice, quatre exercices dans cette soirée. Premier exercice de coaching bonheur, qui va consister à vous vider le cerveau. C’est parfait dans cette période, c’est tout à fait utile. Donc alors, non, juste je précise un petit peu avant pour que ça soit quand même pas complètement... Parce qu’en fait, voilà, quand on travaille sur les systèmes obscurs, donc ça reste dans la thématique des systèmes obscurs, on va... on s’intéresse beaucoup actuellement à la face obscure de l’idéologie du bonheur et c’est le thème de notre enquête sur laquelle on travaille en ce moment. Donc là on est dans des choses sur lesquelles on travaille en ce moment qui, pour le dire très simplement, on se base pas mal sur des idées par exemple développées par Eva Helouz, la sociologue, dans son livre à Pécracy. L’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Voilà, bon je pense que ça donne le ton. Mais donc du coup on s’intéresse pas mal à justement à faire du sorte de une de reverse engineering, des techniques du bonheur. Donc la technique qui consiste à vider le cerveau par exemple, on peut trouver sur internet plein de choses comme ça. Alors celle-ci par exemple, peut-être qu’on peut jouer la vidéo. Donc une vidéo de nettoyage du cerveau, donc en musique. Attend, j’ai besoin de lire le texte. C’est important. Donc le texte de la présentation de la vidéo, alors on peut en trouver mille du même genre mais celle-ci est assez intéressante. Donc ça améliore le système d’évacuation des déchets cérébraux produits par l’activité des neurones. C’est un des très bons trucs. On a une musique qui est censée améliorer le système d’évacuation des déchets cérébraux produits par l’activité des neurones. C’est le système glymphatique. Les déchets produits par les neurones dans le liquide interstitiel sont évacués dans le liquide céphalo-rachidien, avant d’être éliminé par le réseau veineux. Amélioration de la mémoire, dormir facilement, relaxation très puissante, méditation profonde. On va peut-être le jouer une minute ou deux pour voir si ça vous vide le cerveau. [Musique] Peut-être que pour les effets de la démonstration de ce soir, on n’a pas besoin de la jouer en entier. Je crois qu’elle dure une heure. Après on peut en trouver des vidéos de boucles de 3h, ou 4h, ou 10h, ou 24h. J’en ai mis quelques-unes comme ça, juste pour l’esthétique. C’est assez intéressant. Et celle-ci est pas mal, "Musique de guérison". En tout cas, il existe, depuis un certain temps, des musiques qui ont un but qu’on pourrait dire cybernétique, d’agir sur... En fait, on s’est demandé, mais d’où ça vient ? Enfin, quelle est la source de ça ? Et donc on a fait une petite enquête et on s’est rendu compte que il faut remonter à ce personnage, donc le George Owen Squire, et que c’est assez intéressant d’en faire l’histoire. Et donc on s’est lancé comme ça dans une petite enquête sur les raisons de ça. Donc George Owen Squire, là on le voit... Alors j’ai mis quelques photos pour sa vie. Alors je vais faire une longue digression, on va revenir sur nos pas à la fin. Donc Donc là, il est en 1900 sur le pont du bateau-câblier Burnside qui pose des câbles sous-marins entre les îles des Philippines. Ça n’a aucun rapport avec le bonheur, mais ça nous plaisait bien parce que ça nous relie aux câbles sous-marins. Voilà, en 1900 c’est pour le téléphone, aujourd’hui c’est pour Internet, mais ça nous semblait intéressant. Ensuite, pas longtemps après, il va inventer le floraphone qui utilise les arbres comme antenne. Il travaille pour l’armée américaine, et c’est un truc qui existe en vrai. Donc, dans n’importe quelle région du monde, on met un clou sur un arbre, on met un fil. On est dans les années 1900-1910, donc c’est vraiment les techniques... c’est un gramophone, on est vraiment dans les techniques tout à fait étonnantes. C’est la suivante, voilà, donc le mode d’emploi que vous pouvez trouver dans dans "Electrical Experimenter" de juillet 1919. Voilà, c’est aussi le premier passager aérien. Donc là, il est ici dans l’avion de Orville Wright en 1908. Voilà, et ici à gauche sur la photo avec Wilbur Wright à droite. On ne voit pas forcément le lien que ça va avoir avec la musique Bonheur, mais ne vous inquiétez pas, ça vient. Il est le premier à acheter des avions pour l’armée étatsunienne. Il invente le multiplexage, ce qu’on a vu en rouge tout à l’heure. Sans le multiplexage, il n’y aurait juste pas Internet. C’est une invention très importante. Il est chef du service de transmission des Etats-Unis. Il a des beaux bureaux. On peut passer à la suivante. Il a des beaux bureaux. bureau en 1918. En open space. Il a presque inventé l’open space. A chaque fois il gagne des grades, c’est vraiment un des plus haut gradés de l’époque. Et puis quand il est à la retraite, parce que c’est le sujet du jour, la retraite, donc en tant que militaire il a la retraite assez tôt, il découvre qu’on peut transmettre le son par les fils électriques, alors c’est peut-être pas lui qui découvre ça, mais en tout cas il a l’idée que cette méthode peut être utilisée pour diffuser de la musique. Et à ce moment-là, quand il est à la retraite, il monte une entreprise qui s’appelle "Wired Radio", la radio à fil, qui en fait est à l’époque, qui a pour but de concurrencer la radio, et qui diffuse à faible échelle de la musique, qui coûte moins cher que la radio, parce que la radio à l’époque demande des postes de réception qui coûtent extrêmement cher, et là on peut avoir des choses moins chères. moins cher. Donc c’est une sorte de d’invention commerciale qu’il va essayer d’évoluer dès 1922. Et le truc qui est intéressant c’est que en développant ça, il fonde ensuite une entreprise qui s’appelle Musac. Donc vous avez sans doute entendu parler, puisque le mot Musac est devenu un nom commun en tout cas en anglais, qui signifie qu’il y a beaucoup de synonymes, mais qui peut vouloir dire musique d’accompagnement, musique d’ascenseur, musique d’ambiance, etc. Parce que pour créer cette... donc voilà j’ai mis quelques synonymes ici, musique d’absence, musique d’ascenseur, pour créer cette entreprise et pour diffuser de la musique, en fait, pour des raisons de droit, il ne peut pas diffuser des musiques existantes, et donc il demande à des musiciens de créer des enregistrements, mais des enregistrements qui ont pour but d’être une musique d’ambiance, c’est-à-dire qui n’ont pas pour but d’être écouté comme de la musique, mais juste d’infuser dans l’espace, et de diffuser des atmosphères qui rentrent, qui accompagnent inconsciemment votre mode de vie, sans trop être présent. Donc il fait enregistrer. Alors là, bon, c’est lui et puis après sa mort, puisqu’il meurt assez vite, mais on enregistre des dizaines de milliers d’heures de musique. On peut peut-être jouer là, là, juste sur Play. Voilà, de la musaque. Je la laisse tourner. Donc il y a des... Et ça, tout ça, c’est sur archive.org, le site Internet qui archive beaucoup de choses sur Internet. Donc tout ça est disponible aujourd’hui. Il y a des milliers, des milliers d’heures de musique qui sont utilisées et qui sont créées. Voilà, c’est diffusé par ce genre de choses, voilà, c’est des boîtiers assez simples, on peut passer au suivant, et on en met dans toutes sortes d’endroits, dans des logements, dans des bureaux, dans des entreprises. Là ici c’est pour rendre un lieu un peu plus la suivante. Voilà, donc dans chaque chambre d’hôtel, un peu de musac pour... c’est un peu comme... c’est de la musique papier peint, c’est... enfin, pour reprendre... Ou alors, c’est une musique d’acclimatation. Dans la chambre, vous avez juste un bouton qui va de off à maximum et vous réglez comme on réglerait la température ou le thermostat d’un radiateur. Ça accompagne l’atmosphère... Donc, pas jusqu’ici, ça accompagne l’atmosphère. Là où ça devient plus troublant, c’est que dès 1934, donc en Squiremur, Muzak commercialise la musique d’ambiance dans le but d’ augmenter la productivité des employés dans les bureaux et les usines. Il a pour gros clients, du fait de l’origine de Squire, l’armée américaine, donc les usines d’armement américaines, mais pas uniquement. Et progressivement, Muzak vend de plus en plus sont produits et fait énormément d’études "scientifiques" pour prouver que la musique musaque augmente la productivité parce qu’elle augmente le bonheur des employés. Alors, que ces études soient vraies ou fausses, ce n’est pas du tout ce qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse, c’est bien sûr l’intention qui est derrière et le but, par de la musique, d’augmenter le bonheur des gens. Donc on a toute une idéologie qui se met en place, qui repose sur des chartes de progression à travers la journée, puisqu’on considère qu’on se lève, on est en forme, ensuite il y a un pic à 10h30 où on est un peu moins en forme, puis ça remonte, ça redescend. Et donc à chaque fois, la musique qui va être diffusée va changer en fonction des pics de productivité, etc. et s’adapte au temps de l’employé pour le rendre le plus heureux possible. Donc s’il est heureux, il est productif. l’idéologie du bonheur liée à la productivité, c’est exactement ce que raconte Eva Illouz dans ses livres. Bon, on va pas passer tous les trucs comme ça, mais c’est très raffiné sur les enfin "raffiné" entre guillemets, sur les analyses qui sont faites. Et ça c’est un petit résumé que fait Hervé Vanel, donc qui fait une histoire critique de la musique d’ameublement. "La logique consistant à faire passer l’accroissement de la productivité des ouvriers comme supplément d’une préoccupation pour leur bien-être est un trait commun de la plupart des études sur ce sujet." Donc C’est vraiment quelque chose qui est très affirmé dans d’autres chartes du même genre. On peut peut-être accélérer ici. On peut passer... Ça c’est Murray Schaeffer qui dit ça. Murray Schaeffer c’est celui qui invente la notion de paysage, du paysage sonore, qui est un théoricien du paysage sonore, qui est bien sûr très critique de la musaque. Et ce qui nous intéresse aussi, c’est que c’est une musique très paradoxale, puisque à la fois elle est faite pour être entendue, mais pas pour être écoutée. Ça c’est quelque chose qui est vraiment un caractère qui nous intéresse énormément. Donc voilà, bon ça on peut passer. Dans les années 80, Musak existe toujours mais vend principalement son produit pour des commerces. Donc toute la musique d’ambiance qu’on a dans les centres commerciaux ou dans plein de commerces, c’est souvent Musak ou d’autres entreprises du même genre qui la fournissent. C’est pas une musique de radio, enfin sauf bien sûr dans les tout petits commerces qui mettent la radio, mais tous les grands commerces achètent de la musique qui est faite spécialement pour ça. Et puis, aujourd’hui encore, l’entreprise Musak n’existe plus, mais elle a été rachetée par Mood Media. Et l’entreprise poursuit ses recherches sur les meilleures chansons pour réduire le stress ou inciter les clients à acheter quelque chose. Donc, il y a plus de détails, bien sûr, mais évidemment, la productivité au travail a été remplacée par la productivité du consommateur. Il faut rendre le consommateur qui consomme. Donc, la Musak sert à ça. Voilà, juste pour... Musiac, maintenant, c’est racheté par Mood Media, et le slogan de Mood Media, je crois que c’est sur la slide d’après, c’est "We put people in the mood to buy". Donc on met les gens dans l’esprit d’acheter. Encore une fois, que ça marche ou pas, que ce soit... Enfin, c’est pas du tout ça qui nous intéresse, mais c’est vraiment l’intention presque cybernétique qui nous intéresse. Et cette publicité, juste la slide d’avant, c’est une publicité pour Muzak. Alors je reviens en arrière dans le temps, ça c’est une publicité des années 30, qui montre l’effet escompté en tout cas des clients qui ont acheté à Muzak sur leurs employés, le sourire revient. Et ce qui est intéressant c’est que dans les années 70, on a quasiment exactement la même chose pour les plantes vertes. C’est à dire qu’en fait, il y a une étude tout à fait controversée, qui cherche à prouver que les plantes qui écoutent du rock’n’roll dépérissent alors que celles qui écoutent de la musique classique se portent extrêmement bien. Et ça c’est une étude très très très célèbre qui est faite donc... alors c’est pour ça que la partie suivante s’appelle "développement personnel pour plantes d’intérieur". On est toujours dans l’idéologie du bonheur mais cette fois-ci appliquée aux plantes vertes. Mais c’est la même. Alors on a dans les années 70 une sorte d’épidémie de disques qui cherchent à rendre les plantes heureuses. Il y a celui-ci par exemple, "Music for your plants". Et puis il y a tout cela. Ça c’est la collection personnelle de Stéphane ici présent. Il les a tous achetés et il en a fait un musée à part. En fait il me manque celui-ci, il me manque celui-là et celui-là. Si vous les trouvez quelque part, écrivez à Jean qui transmettra. Mais effectivement j’ai ce petit... Et celui-ci qui est un petit peu à part, c’est Stevie Wonder, qui n’est pas de la musique... Enfin, tout cela sont destinés à faire pousser vos plantes et à les rendre heureuses. Celui-ci c’est plutôt une musique de documentaire, mais bon, ce qui est vraiment dans l’esprit de l’époque aussi. Mais donc, en fait, cette étude de Dorothée Ritalak, qui vraiment, elle, à l’époque, fait un dispositif expérimental où elle diffuse de la musique à des plantes vertes, exactement comme Muzak diffusait de la musique dans les bureaux, et elle essaye de prouver que Ravi Shankar marche... Ravi Shankar, c’est ce qui marche le mieux apparemment. Sur moi ça marche bien aussi, sur les plantes ça marche, donc peut-être qu’il y a un fond scientifique. Et puis le rock’n’roll et notamment l’acide rock, c’est le pire de tout. On est en 1963, donc c’est la période... Donc voilà le livre de Dorothée Retalac. Puis après je crois qu’il y a une photo d’elle, qui est en fait une femme qui aussi est très religieuse, qui n’aime pas du tout le rock’n’roll, même avant de faire des études sur les plantes. Donc l’étude est bien sûr un tout petit peu biaisée, mais c’est pas forcément ça qui est intéressant. Ce qui est intéressant, c’est l’aspect cybernétique qu’il y a derrière, de chercher une musique qui agit sur le mental, sur les plantes. Ça, on va peut-être passer... Je vois que l’heure tourne dangereusement. Elle produit de très belles images. À l’époque, il y a aussi le livre "The Secret Life of Plants" qui mélange plein de références. Un autre personnage tout à fait intéressant dans ce paysage, c’est Cliff Baxter, qui est un employé de la CIA, un spécialiste des interrogatoires, qui utilisait le détecteur de mensonges, le polygraphe. Et en fait, un jour, il a eu l’idée de brancher un polygraphe sur une plante, et il s’est rendu compte que la plante réagissait à ses émotions à lui, comme s’ils étaient connectés. Encore une fois, bien sûr, des expériences tout à fait controversées, évidemment, mais ça montre bien l’esprit de l’époque, et l’esprit totalement cybernétique d’essayer de démontrer scientifiquement l’impact direct qui peut exister entre deux entités.

exercice 2 : fermez les yeux

exercice 2 : fermez les yeux

Gwenola Wagon Je pense qu’il est temps de passer à l’exercice bonheur numéro 2 parce que là c’est un peu... On part trop loin. L’exercice bonheur numéro 2 consiste à fermer les yeux. On a dit une minute à peu près. Fermer les yeux c’est très utile dans une période comme celle d’aujourd’hui. On n’a pas trouvé la bonne musique pour fermer les yeux, on s’est dit que le... Le silence était bien. Le silence était bien. On va faire une minute subjective. [Bruit de l’écran] Donc on ferme les yeux. [Bruit de l’écran] Et on écoute ce joli larsen. [Bruit de l’écran] Pour ouvrir les yeux. Merci de vous être prêté à l’exercice. Pour parler d’un projet qui nécessite d’ouvrir les yeux justement, qui s’appelle le blanchiment des images. Alors c’est un film et un texte qu’on a écrit sur les images de micro-stocks. Donc les images de micro-stocks, ça s’apparente à des banques d’images qu’on trouve en ligne et qu’on peut acheter moyennant une somme assez basse pour les utiliser pour la presse, pour n’importe quoi, à usage privé ou à usage médiatique. et qui sont des micro-stocks parce qu’elles sont en quelque sorte produites par tout le monde, c’est pas seulement des images de photographe, ça peut être des images de toute la planète, des gens qui mettent ces images en ligne, principalement quand même, majoritairement des photographes, mais souvent des photographes qui sont très très très mal rémunérés, puisque chaque image coûte rien, quasiment, ou très peu, Et donc il y a beaucoup de... en quelque sorte d’exploitation avec ce type de... voilà, d’auto-exploitation, parce que c’est de l’entrepreneuriat précaire. Et donc ces images, on les a analysées dans un film... – Le lien, sur... – Pardon. Dans un film qui se nomme "Images Washington". parce qu’en fait on a fait toute une étude sur la manière dont elles avaient des effets d’occultation, puisqu’elles sont telles... en fait avec le temps elles sont devenues de plus en plus utilisées avec le micro-stock. Auparavant ces images de stock étaient utilisées plutôt dans la presse, en fait, majoritairement, dans des contextes précis. Et puis de plus en plus, devenant de moins en moins chères, pour pallier au problème de droit, du droit à l’image, et puisqu’elle propose des abonnements assez lucratifs, assez peu chers finalement, les organismes, la télévision, des chaînes comme Arte, des réalisateurs, des boîtes de prod, et y compris des gens, limite cinéma d’auteur, s’abonnent à ces systèmes et utilisent ces images pour représenter tout ce qu’ils veulent. Et comme elles sont de plus en plus nombreuses, on peut à peu près tout représenter avec, enfin représenter des concepts, là par exemple, ce sont des images souvent concepts, et puis progressivement représenter des choses très particulières. Alors ce qui nous avait intéressé c’était que en dehors des clichés, parce que c’est beaucoup de clichés, qui sont évidemment qui se renforcent, puisque c’est comme un effet de réseau, chaque cliché se renforce sur ce système là, Elles ont tout une... Certains sujets, notamment la catastrophe climatique en particulier, la dégradation de l’environnement et les problèmes climatiques et les problèmes écologiques, sont difficiles à représenter dans les journaux, dans la presse, dans les films, et de plus en plus, elles sont utilisées dans cette optique-là, ou même pour l’intelligence artificielle, un sujet très dur à représenter par l’image, et notamment elles sont représentées pour parler de problèmes, y compris de "washing", c’est-à-dire de "greenwashing", alors qu’elles sont elles-mêmes issues d’une sorte de "greenwashing". Donc il y avait avec l’utilisation de ces images un problème qui nous semblait... qu’on analyse très longuement, mais là je raccourcis, mais le problème étant que on utilise ces images pour parler de nettoyer la planète, par exemple, comme ici, ou de laver la planète, ou de sauver la planète, ou de lutter dans telle lutte. Et on va utiliser des images comme celle-ci, qui finalement n’apportent rien, puisqu’elles renforcent elles-mêmes le problème, en quelque sorte. Pour nous, elles sont comme un engrenage qui tourne à vide. Et voire même, elles créent une fausse vision, puisqu’elles donnent l’impression aussi que la planète va être sauvée, par l’image. parce qu’elles sont esthétiques, parce qu’elles sont clean, parce qu’elles sont épurées, vidées, hygiéniques, neutralisées, toujours avec le fameux style international qu’on avait décrit dans l’aéroport international, qui donne un côté extrêmement lisse. Donc en fait, l’idée de cet article qu’on a écrit et du film qu’on a fait, c’était de de pointer le problème et d’essayer de faire une enquête sur ce système là et pourquoi on l’utilise, et pourquoi ça prend de plus en plus de place, et pourquoi finalement, de fil en aiguille, y compris des réalisateurs de documentaires comme Cyril Dion pour le film qu’il a sorti sur Arte il n’y a pas longtemps, utilise cette image, une image de stock en affiche où on voit une femme avec "Il n’y aura pas de planète B" et c’est une image de stock qui du coup va à l’envers de son message, et qui donc ne résout pas. Etc. Etc. Je ne sais pas si c’est tout. Et le film, là on a coupé le son pour pouvoir parler par dessus, le film qu’on a construit, comme vous le voyez, on a recherché des récurrences. Les images de stock, qu’on appelle aussi banque d’images, reposent énormément sur des récurrences, sur des archétypes, sur des images qui fonctionnent. Et donc c’est très facile d’en collectionner à l’infini et les aligner les unes derrière les autres. par exemple ici les panneaux "Save the planet" et c’est vrai que par rapport aux questions écologiques en particulier, ce qui est un peu la fin de l’article là où on fait plutôt la fin, on se rend compte qu’il y a une sorte de... comme s’il y avait une sorte de... voilà, une esthétique qui naît de ces images de stock qui est une esthétique extrêmement lisse, extrêmement positive, voilà, on va être sauvé, c’est le bonheur, donc on retrouve l’idée du bonheur dans l’idée que ces images tendent naturellement à effacer les problèmes Et par ailleurs, ce sont également des images, là on les voit relativement bien parce qu’on les a mises les unes à la suite des autres sur un même thème, mais ce sont des images qui ont tendance à disparaître parce qu’on les voit partout en fait, dans les magazines, dans les publicités, etc. Et ce sont des images qui reposent tellement sur les archétypes qu’on ne les voit plus finalement. Elles finissent par disparaître exactement comme... Alors tiens, on va peut-être mettre les manifestants... Exactement comme la musaque disparaît dans le fond sonore. c’est une musique qui n’est faite pour ne pas être écoutée mais entendue. Les images de stock sont également des images qui sont faites pas pour être regardées mais juste pour passer dans le regard. Ici on a collecté par exemple toutes les images où on a des personnes qui brandissent des panneaux, mais ces panneaux sont vides parce qu’en fait ils sont faits pour être remplis avec le message de la personne qui va acheter l’image. Donc on a des protestataires ou d’autres personnes, voilà, avec différents archétypes, stéréotypes et autres qui sont mobilisés pour des causes qui n’existent pas, mais qui vont être créées par les personnes qui vont acheter les images. Ça c’est une pratique extrêmement courante sur les banques d’images, simplement parce que les images sont vides, et on voit souvent le fond vert aussi qui permet d’incruster ces personnes, je crois dans une manifestation x ou y, et que voilà, elles vont être rachetées et ce sont des personnes qui sont souvent des... Enfin, contrairement aux modèles qu’on utilise dans d’autres types de photographies, ce sont modèles qui sont monsieur et madame tout le monde, qu’on ne va pas forcément repérer autrement que par le stéréotype qu’ils incarnent. Ce qui est intéressant aussi par rapport à la MUSAC, c’est que ça agit sur l’inconscient et que c’est vraiment des images de subconscient, comme la musique d’ascenseur dont parlait Stéphane tout à l’heure avec l’inventeur de la MUSAC. C’est vraiment des images qui sollicitent un arrière-fond du cerveau et qui font qu’on les voit pas mais en fait on les voit quand même. Comme la musique d’ascenseur, la musaque, on ne l’entend pas mais on l’entend quand même. Et donc, elles ont, il y a une sorte de lavage intérieur qui fait qu’elles agissent indirectement. Mais pas un lavage dans le sens "on va vous laver le cerveau pour vous faire croire quelque chose", plutôt un lavage dans le sens où ça va juste nettoyer, faire du lisse et vider, d’une certaine manière, vider la possibilité de réfléchir. Enfin, on exagère un tout petit peu, mais ça a un petit peu ce but comme ça de d’effacement du propos. C’était aussi ce qui nous avait interpellé, en fait, quand on a travaillé sur les images de micro-stock, de type shutterstock, c’était la difficulté de trouver des enquêtes là-dessus, puisqu’on voulait vraiment faire une enquête, pourquoi ça marche aussi bien finalement, pourquoi tout le monde achète ces images, alors qu’on pourrait faire des images nous-mêmes ou en commander à d’autres et puis ça fait disparaître aussi les photographes, etc. C’est une question de disparition de métier qui est problématique. Et dans cette interrogation, l’absence de critique sur ce système là nous a beaucoup gênés, puisqu’on se disait dans la critique qu’il faut aussi englober la représentation visuelle, et la représentation visuelle de ces journaux, de ces médias, de ces quantités de personnes qui les achètent, elle n’est pas anodine. Il faut quand même aussi s’intéresser à ça. Et donc là, on va dans ces séries, c’est comme l’aéroport, on va dans les endroits qui finalement sont... ça paraît banal en fait. Ça paraît anodin, ça paraît banal, mais pour nous ça l’est pas parce que justement, c’est tellement présent en fait, en fait il y en a partout, mais c’est tellement présent qu’on ne les voit plus. Et donc c’est là où notre enquête... Enfin, c’est là où on se sent interrogé. Juste la séquence qui passe là, donc qui fait suite à celle avec les panneaux vides. Là ce sont des panneaux avec des messages, mais qui sont des messages complètement désincarnés, des messages qui peuvent avoir un sens dans d’autres contextes, qui ici sont juste portés par des acteurs qui bien sûr sont des acteurs, qui sont faits pour illustrer les situations. Donc un effet de désincarnation par l’image qui nous semblait assez important. Merci à tous ! Merci.

exercice 3 : flottez sur un nuage

exercice 3 : flottez sur un nuage

Gwenola Wagon Et bien c’est le temps de l’exercice de coaching bonheur numéro 3, qu’on a bien mérité.

Stéphane Degoutin Donc, flotter sur un nuage. Petite hypnose. J’espère que vous êtes prêts. Donc nous allons écouter Louis Yagira, qui va vous faire flotter sur un nuage. Merci de laisser un commentaire si vous appréciez cette méditation.

Extrait sonore Je suis Louis Aguera. A présent, installez-vous confortablement. Choisissez un point dans votre environnement sur lequel poser votre attention. Concentrez-vous sur ce point de manière légère et détendue. Une fois que c’est fait, prenez une longue et profonde inspiration. Retenez l’air, retenez l’air, retenez l’air et exhalez doucement. Gardez votre attention sur ce point dans votre environnement et prenez une nouvelle fois une longue et profonde inspiration. Retenez l’air, retenez l’air, retenez l’air, et exhalez doucement. Et à présent, une troisième inspiration. Gardez toujours votre attention sur ce point dans votre environnement. Prenez une longue et profonde inspiration. Retenez l’air, retenez l’air, retenez l’air et exhalez doucement. Et à présent, fermez les yeux. Posez votre attention à l’intérieur de votre être. Permettez-vous de vous détendre encore un peu plus. Détendez les lèvres autour de vos yeux.

Gwenola Wagon Désolée d’interrompre l’exercice numéro 3.

Stéphane Degoutin Vous pouvez noter le nom "Louis de la Guira" si vous voulez la suite.

Gwenola Wagon Le temps, malheureusement...

Stéphane Degoutin La suite, la suite, la suite... Et j’espère que vous avez quand même un peu flotté sur un nuage.

Extrait sonore Bienvenue dans votre monde.

Stéphane Degoutin C’est pas ça qu’on veut, voilà. Escape. C’était pour introduire bien sûr au projet suivant "Atlas du nuage".

Gwenola Wagon Alors l’Atlas du nuage c’est un projet qui fait suite à une sorte de petite commande d’abord de texte. avec des commissaires canadiens qui nous ont demandé de faire une intervention sur l’écologie d’Internet, enfin les problèmes écologiques et Internet. Et on a eu l’idée de leur faire un atlas en partant de l’acte d’achat sur Internet, l’acte du clic de la souris pour acheter n’importe quoi, un film, un objet, tout ce que vous voulez, et de suivre toutes les étapes de ce processus jusqu’à son arrivée, jusqu’à ce que même on s’en sépare par exemple, ou que le produit ait une autre vie. Et chaque étape, donc c’est des étapes plus ou moins grandes souvent les produits bien sûr, mais là on a pris toutes les étapes possibles en les enrichissant. Chaque étape donne lieu à une planche visuelle, donc ça va du clic de la souris, à la box internet qu’il faut pour appliquer à souris, le réseau, les antennes, les antennes relais, les câbles qu’on a un petit peu vu tout à l’heure, les câbles sous-marins, les data centers, en imaginant que là on arrive au data center, que le hangar, tout ce qui va avec l’infrastructure du data center, et jusqu’à la commande du colis, donc le colis qui va être pris, prélevé par un pickers dans un entrepôt où il fait le ou qui a fait l’objet d’un acte de production, jusqu’à la livraison rapide, bien sûr, et la réception du colis, le fait de surveiller sa maison avec son colis, la livraison plus ou moins variée, parce que ça peut être en vélo, en voiture, etc. Les colis qui s’accumulent, la vision différente, parce qu’il y a des visions publicitaires ou des visions du client, le colis qui est toujours trop grand par rapport à l’objet, l’accident, forcément, parce que ça va très vite, Donc il y a plus d’accidents par la vitesse de la livraison ultra rapide et aussi des accidents d’avion. Les Black Friday avec la... non pardon, la sigolomanie, excusez-moi, avec l’entassement... – Ça c’est pas la sigolomanie, c’est la... – Ah oui ? – Je fais une petite pause, excusez-moi. Sur cette slide, ça c’est des gens qui utilisent la méthode Marie Kondo pour trier leurs affaires. Donc c’est des piles de vêtements. – Oui parce que si on achète, il faut faire les triches. – Si on achète, il faut les triches. Et donc après les objets qui s’accumulent, donc le moment où ça s’accumule, y compris en référence à la boulimie d’achat, donc boulimie d’achat qui peut faire penser aussi à la quantité excessive d’objets souvent inutiles ou... ou... voilà, il n’y a pas de mot. Et aussi aux objets qu’on ne peut pas forcément... enfin, qui arrivent en... qui... voilà. Et les... et les... et qu’est-ce qu’on fait de tous ces cartons après ? Bah on les jette. Et qu’est-ce qu’on fait de tous ces objets qu’on a donc... Là ce sont des montagnes entières de vélos en free floating abandonnés en Chine. Voilà parce qu’on ne peut pas les recycler en Europe donc on les envoie en Europe. Des vraies dizaines de milliers de vélos. Et ensuite on a tous ces objets qui s’accumulent, qu’il faut jeter parce qu’ils sont évidemment un peu vite obsolescents. La pollution électronique. Et qui créent une énorme pollution électronique de manière évidemment exponentielle. jusque sur les plages, et en parallèle, donc il y a des petits appartements, la pollution urbaine, avec la question de la suburbia, le lotissement, la ville qui s’étale, le télétravail et le call center, en tout cas le thème du télétravail, donc la réunion Zoom, la rencontre en ligne, Tinder, Tinder c’est à dire l’être humain qui a un produit accessible comme un autre. Et le camécran, camgirl dont on parlait avec le livre de Jean tout à l’heure, et la révolte des Uber... Différentes révoltes contre différentes plateformes. Amazon... Des fausses révoltes. Enfin des vraies avant et des fausses après. C’est un atlas, il y a tous deux noms, le vrai et le faux. La fausse révolte. La fausse solidarité. Le faux nettoyage de toit. Le faux volontariat. La fausse planète. Et le faux nuage. L’atlas a été montré dans différents lieux, mais souvent il s’étale dans des espaces, donc on peut naviguer, l’idée c’est souvent de faire une promenade à l’intérieur, et de flâner dans ces images en les regardant un petit peu comme on veut, dans n’importe quel ordre.

Stéphane Degoutin Et c’est alors l’idée de flotter sur un nuage, ça c’était le lien donc avec la méditation guidée qu’on a vu avant. L’idée de flotter sur le nuage c’est évidemment l’idée que la Silicon Valley essaye de faire croire, de faire passer pour la réalité. on essaie d’imaginer qu’on flotte sur ce nuage, que les choses nous arrivent, c’est un peu le texte qu’on a écrit à gauche, que de ce nuage tombe comme par magie des produits, des personnes, des services, et que tout ça arrive d’un clic ou même d’un effleurement d’écran sans qu’on ait le moindre effort à faire. Donc là, ce qu’on voulait faire dans l’Atlas du nuage, très clairement, c’est montrer toute la matérialité et la lourdeur de ce qui se passe par derrière.

exercice 4 : souriez

exercice 4 : souriez

Gwenola Wagon Donc on va faire en très peu de temps les deux derniers projets qu’on avait prévus, mais ça va être très très rapide. Donc pour finir sur le bonheur, en fait le bonheur on en a beaucoup... Enfin on l’a abordé à travers un film qui s’appelle "Erevan" et dans ce film on postulait une sorte de société qui était en quelque sorte débarrassée des tâches pénibles. C’était en référence à un livre de Samuel Butler qui s’appelle "Erewhon", l’anagramme de "Dower" en anglais. Et dans ce film est abordé un petit peu tous les chapitres de la vie d’une ville imaginaire, Erewhon et ses habitants, les Erewhoniens et les Erewhoniennes, en passant par les machines qui produisent à leur place, la surveillance et les habitants eux-mêmes qui étaient censés être toujours heureux, être parfaitement heureux à l’intérieur de ce système, de cette vie, le système. Une voix offre à compter à travers un narrateur, en quelque sorte Samuel Butler, l’écrivain de science-fiction du 19e siècle, revenu d’entre les morts, qui découvrirait tout ça à travers YouTube, comment vivraient ces gens aujourd’hui dans cette espèce de divertissement général où ils n’auraient plus qu’à se divertir. Donc il y avait un peu cette... voilà, j’en montre juste un tout petit peu...

Extrait de film [Vidéo] ...était considéré en Erewhon comme immoral et criminel. La principale activité des héréoniens consistait à se prémunir contre la mauvaise humeur. Les machines, s’occupant de toutes les tâches de gestion et de production, les habitants n’avaient plus besoin de travailler. Ils continuaient néanmoins, par habitude, à se rendre dans les lieux anciennement destinés au travail. La néothénie est une caractéristique de certaines espèces, telles que l’homme, les animaux domestiques ou l’axolote, qui conserve des caractéristiques juvéniles bien plus tard que la moyenne des animaux. presseur élevée [Musique] La succession d’activités ludiques, qui caractérise la vie de bureau en Erewhon, favorise heureusement l’allongement de la période infantile de l’homme. Nés au monde prématurément, ils continuent de jouer et d’apprendre durant une grande partie de leur vie. Les savants admettent que cette longue période néoténique est nécessaire au développement d’une culture complexe. Musique

Gwenola Wagon C’est un film en 12 chapitres... euh, 11.

Stéphane Degoutin Et toutes ces images sont tirées de vrais exercices en entreprise pour maintenir le bonheur des employés.

Gwenola Wagon Plusieurs styles d’images... Il y a le bonheur pour se tenir dans un moment difficile, qui est parfois provoqué par... Il y a plein de bonheurs en même temps, mais c’est effectivement le thème de ces cérémonies. L’idée de ce film était là-dessus, en quelque sorte des bienheureux. Il a été réalisé avec Pierre Casunogues, qui est philosophe, et qui vient de publier un livre récemment qui s’appelle "La bienveillance des machines", assez proche de ce thème. Et donc, pour finir... Alors, je suis en train de... Je suis perdue sur le... Oui, pour finir, on parlait de rire, mais je voulais retrouver le diaporama, mais c’est pas grave, je l’ai perdu. Ah oui, j’ai fermé. Hop. C’est pas grave. En fait, on voulait faire une séance de rire collectif, mais en référence aussi à un film qui s’appelle Virusland, où le film parle de la pandémie et finit sur les clubs du rire qui se retrouvaient en ligne parce que à ce moment là on pouvait pas se retrouver donc les clubs de rire qui existaient en vrai se retrouvaient en ligne et riaient en ligne et du coup le film Virusland finit là dessus et donc voilà mais mais non mais en fait je pense que c’est mieux de finir sur l’exercice 4 parce que là comme on n’a pas trop le temps de le voir Comme ça, ça peut être le dernier truc.

Stéphane Degoutin 6-4

Extrait de film Bonjour, je suis Linda Leclerc, fondatrice de l’école du yoga du rire et du Ha Ha Sisterhood, une communauté de femmes qui rient intentionnellement. Aujourd’hui, je viens partager avec vous trois exercices faciles de yoga du rire. Pourquoi rire ? Parce que ça fouette notre énergie, ça vient booster notre système immunitaire et ça va changer notre état d’esprit. C’est tout simple. Ce qu’on va faire, c’est qu’on va appliquer des exercices. On va rire comme si on trouvait ça drôle. Parce que peu importe que je ris pour vrai ou que je fasse comme si, mon corps ne fera pas la différence. On va par contre sentir une différence dans notre esprit. La première chose que je vous suggère de faire, c’est de sourire. De tenir un sourire qui va être peut-être un peu exagéré, mais de le tenir pendant une minute. Jusqu’à temps que vous sentiez que votre corps va se détendre un peu. Ça ressemblerait à quelque chose comme ça. Très large. Je ne vois pas beaucoup de gens qui le font. Vous allez sentir en vous que ça va changer quelque chose. Le deuxième exercice qu’on va faire ensemble, c’est le rire du téléphone cellulaire. En fait, c’est un exercice qu’on fait, on imagine qu’on a un téléphone dans la main et qu’il y a quelqu’un qui nous raconte quelque chose de très, très drôle. (Rires) C’est clair.

Gwenola Wagon Je l’arrête, c’est fini du coup. Merci.

Stéphane Degoutin Merci.

(Applaudissements)

discussion avec le public

discussion avec le public

Public Donc en écoutant tout ce que vous avez raconté, il me venait plein d’idées à l’esprit. L’une d’entre elles c’est que ça me mettait souvent dans des états de perception un peu bizarres. J’avais l’impression quand même de voir apparaître des choses effectivement très familières et qui... qui sont un peu différemment visibles en fait, tout simplement quoi. Et l’autre remarque que je me faisais, c’est que c’était énorme le matériel que vous mobilisez, que vous amenez là, et qu’on a l’impression que votre travail ça consiste juste à explorer les archives, les remontrer, les remonter, les rendre accessibles largement. mais en même temps, c’est des archives. Moi, j’avais l’impression d’avoir déjà vu tout ça. Ce n’est pas une question.

Gwenola Wagon - Alors là, c’est vrai qu’on a fait une sélection parce qu’on a d’autres types de pièces où c’est plus cultural, où on construit des choses, ou récemment, on a fait une pièce où on a construit une maison, par exemple. Donc, le choix s’est porté un peu plus sur la question des systèmes obscurs. Donc on n’a pas été trop dans les pièces qui sont... Oui, on aurait pu montrer celle-là, mais il fallait un peu plus de temps pour... On ne peut pas tout voir en une heure. Mais souvent dans les pièces, il y a souvent l’idée de faire des rituels aussi pour un petit peu dé-exorciser ces situations difficiles, enfin en tout cas, ou des choses qu’on pointe qui peuvent être un peu abruptes et parfois un peu qui pourrait être vu sur l’ordre du drame. On pourrait dire "oui c’est dramatique". Et en même temps il s’agit aussi de faire un peu un travail d’exorcisme. Et donc par exemple pour ce projet là on a construit une maison pour parler d’un problème des sonnet ring d’Amazon qui sont sur la vidéosurveillance et qui fliquent littéralement les américains qui achètent ça en balançant tout à la police. et de manière acceptée, vraiment, il n’y a pas de doute là-dessus, puisque c’est un partenariat volontaire, donc voilà. Mais la manière dont ça s’est passé a été assez opaque, très opaque, donc c’était un peu ça l’idée d’aller déso-pacifier ce système. Et en même temps, il y a cette construction de maison qui s’est faite, et on voit le film à l’intérieur de la maison, donc il y a aussi un rituel de rentrer dans la maison, de regarder le film, de sortir, de voir la sonnette et qui font aussi partie du projet et qu’on a souvent dans chaque pièce. Par exemple, d’autres pièces procèdent comme ça, on construit des parfois des rochers ou des montagnes ou des forêts. Enfin voilà, il y a tout un travail aussi d’opération qui n’est pas seulement de collecter des images. Enfin voilà, qui vise aussi à mettre en scène, à mettre de la distance aussi et à laisser aussi de la possibilité de réflexion et aussi que les personnes peuvent aussi être libres de porter le jugement qu’elles veulent, de ne pas leur coller un jugement, de ne pas leur dire "c’est bien, c’est mal, tu dois penser comme ça", donc de trouver des systèmes qui laissent une grande liberté aux spectateurs. C’est comme ça que je... je sais pas si Stéphane... Oui, non, sûrement, mais c’est vrai qu’il y a effectivement une grande partie de notre travail, c’est de collecter des images sur internet et d’aller au fin fond des réseaux pour trouver un maximum de choses sur des sujets et de faire une enquête vraiment que n’importe qui peut faire avec un ordinateur et une connexion internet simplement en accumulant du temps et du temps de recherche. C’est pour ça aussi qu’il y a un sentiment de familiarité avec ces images, ça correspond à des choses qu’on connaît, enfin bon là en l’occurrence sur les techniques de coaching bonheur, bien sûr c’est des choses très connues. Là, les quatre exercices qu’on a montré, le temps de recherche pour ces vidéos, c’est à peu près deux secondes parce que c’était vraiment les premiers, c’est les plus archétypaux. Ce qui n’est pas du tout le cas dans d’autres projets où on a des recherches très longues. Là, on a vraiment été dans l’archétype total. Des exercices extrêmement classiques, extrêmement banals. Et à la fois, les vidéos qu’on trouvait étaient très bien, elles étaient très représentatives du genre. Voilà, c’était juste une petite parenthèse. Mais oui, ce travail de recherche de vidéos est hyper important. Peut-être il y avait aussi, on n’en a pas trop parlé, mais il y a tout un projet sur... Enfin aussi pourquoi le bonheur, enfin pourquoi en fait le sous-titre de la conférence aurait pu être "Pourquoi est-on heureux alors qu’on nous dit tous les jours que le monde est en ruine, que c’est la catastrophe, qu’il y a des problèmes écologiques très graves ?" Comment on tient ce bonheur et comment ce bonheur est-il encore possible ? Et comment ce type d’image, comme les images de stock qu’on a vues dans le blanchiment des images, peuvent-elles encore nous faire croire à ça ? Comment ce système-là tient ? Et cette espèce de discrépance, enfin ce contraste entre l’injonction du bonheur et d’un autre côté des choses assez quand même difficiles à l’opposé de ce bonheur qui crée pour nous un clivage et d’où l’envie de faire ces enquêtes sur les systèmes obscurs et aussi sur les systèmes du bien-être. Le mot bonheur pourrait être associée là du coup au bien-être, au wellness, à la wellness et à la psychologie positive. On n’en a pas trop parlé mais il y avait au tweet une enquête sur Émile Coué, la psychologie positive et l’injonction à l’autosuggestion. Se sentir bien parce que on s’oblige à se sentir bien. Donc il y avait aussi ce fait là. Mais dans les... enfin en tout cas ça me fait penser aussi à quelque chose qu’on n’a pas montré mais qu’on aurait pu montrer, il y a toute un... une invitation là qui s’est faite en janvier sur un projet sur le bien-être où j’ai fait une histoire de la frite de piscine et dans l’histoire de la frite de piscine il s’agissait de de raconter l’invention de la frite de piscine, la manière un petit peu dont on a fait ces petites stories, et de faire vivre à ceux qui étaient là un vrai coaching de frites de piscine avec les frites et tout, avec un exercice collectif à tout le groupe en parlant des différentes théories sur le bien-être, le positivisme, la psychologie positive et et tout ce qui s’était opéré comme la manière dont la théorie du bien-être est un peu liée aussi à après-guerre, aux trente gorieuses et à la création des objets bon marché en plastique en grande quantité. Donc frites de piscine c’est l’objet en plastique par excellence etc. Et donc la conférence reliait les deux et raconter aussi comment et pourquoi on pouvait continuer à faire ces exercices dans ce contexte là.

Public Si j’ai perçu l’articulation entre les deux parties, l’ensemble des vidéos et des grands espaces de bâtiments qui sont construits dans le monde entier, et la seconde partie sur les images et le bonheur, c’est que les premières installations permettent les secondes. On voit de longs couloirs, mais derrière, il n’y a peut-être pas tellement d’êtres humains, mais il y en a qui les activent. Et alors, est-ce que ça s’applique à eux ? Et la deuxième remarque que je veux faire, c’est par rapport aux luttes qu’il y a en ce moment. Là, moi j’ai l’impression que c’est une portion de société, un fragment de société qui est dans la bureautique et qui est dans la bureau, dans les bureaux, mais ce n’est pas la totalité des êtres humains et des travailleurs. Par exemple, est-ce que, et c’est sans discrimination, les éboueurs, les personnels qui travaillent dans les abattoirs, les marins pêcheurs, ça donne à ce genre d’entraînement au bonheur et des exercices qui sont pratiqués.

Stéphane Degoutin C’est une question intéressante. Pour la première remarque ou question, En fait, il y a une opposition qui nous intéresse énormément dans l’idéologie du bonheur. C’est une idéologie qui centre vraiment sur l’individu. C’est à dire, grosso modo, c’est moi, mon bonheur, comment je peux accéder à un bonheur, etc. Et qui d’une certaine manière, enfin là, je suis beaucoup ce que dit Eva-Elou sur la question, qui éloigne énormément du collectif. Et ce qui nous intéressait, c’est justement de mettre en opposition des super structures, alors là, techniques, très très mondiales, collectives, etc. et puis une idéologie qui elle est vraiment centrée sur l’individu et qui du coup oublie le collectif, mais aussi, enfin collectif au sens différents êtres humains, mais aussi collectif au sens de superstructures qui concernent beaucoup de monde. Et par rapport à la deuxième question, alors là encore une fois je vais renvoyer à Eva Illouz qui a écrit ce livre à Picraty qui est vraiment extrêmement intéressant sur le sujet, et qui elle est sociologue, et qui apparemment dit que cette idéologie du bonheur est extrêmement présente non seulement, alors là c’est pas en termes de catégories sociales mais en termes plutôt de en termes de pays et extrêmement présente dans les pays entre guillemets développés mais mais de plus en plus et en énorme proportion dans des pays qu’on appelait anciennement en voie de développement notamment en Inde ou en Afrique etc et c’est alors en Inde c’est complètement fou c’est à dire que quand on fait des recherches sur internet quasiment tout ce qui sort et vient d’inde d’afrique et des états unis et c’est des pays qui on s’attendrait pas on imaginerait que c’était une... effectivement on s’imagine que c’est une idéologie principalement anglo-saxonne, états-unienne et en fait non c’est complètement mondial par exemple. En termes de catégorie sociale je saurais pas vous répondre. J’ai l’impression que ça imprègne un peu toute la société peut-être plus effectivement voilà mais mais en termes de pays en tout cas c’est frappant.

Gwenola Wagon Le bonheur c’est un mot qui est un peu risqué parce qu’on peut dire bien-être c’est peut-être plus juste. Enfin l’idéologie du bien-être je dirais mais par rapport à l’Inde, les vidéos d’Erevan racontent un peu toutes les parties de la société, donc ça va de l’agriculture en passant par les loisirs, etc. Et donc on trouvait beaucoup de vidéos d’Indiens ou en tout cas dans ces fameux grands call centers, donc c’était pas mal de vidéos de call center où ils sont assez ennuyeux, c’est réverbatif, donc le jeu, le ludique venait troubler, enfin venait un petit peu pour tenir aussi dans une tâche réverbative quoi. Evidemment ça concerne la bureautique mais ça concerne aussi tous les bullshit jobs dont parle David Graeber et les bullshit jobs c’est partout quoi, c’est l’administration, c’est la paperasse, c’est les papiers, c’est des trucs qu’on a tous. Moi je suis prof par exemple et j’ai beaucoup beaucoup d’administration. C’est aussi ce qu’on pourrait dire pénible quoi. Et donc ces trucs pénibles ils viennent aussi créer des espèces de folies, des moments un peu de folie où on a un petit peu envie de péter un plomb parce que c’est pénible. Et donc dans le film Erreone, on jouait un peu là dessus sur le, entre guillemets, la folie qu’on peut avoir dans un univers rébarbatif et où la folie peut-être devient saine aussi pour sortir d’une tâche pénible. Donc il faut voir ce côté bonheur bien-être qu’on a montré des deux côtés qui peuvent être à la fois une injonction productiviste comme on le voyait au début, mais ça peut être aussi une survie dans un moment où où c’est très rébarbatif et très ennuyeux. Et là, c’est un mode de survie. Mais ce n’est pas du tout les mêmes ressorts des deux côtés. Et là, on a un peu montré les deux faces. Excusez-moi, je vais peut-être...

Public Je risque de la continuer, mais c’est dans un monde ultra-libéraliste où il y a une recherche de la productivité de l’individu qui est poussée à bout. et c’est le même système qui trouve des dérivatifs pour que l’individu survive mais à aucun moment il n’y a de dimension collective. Ce sont les êtres humains isolés.

Gwenola Wagon Oui c’est tout à fait ça le problème en fait, c’était ça qu’on avait voulu montrer avec Erevan, c’était la manière dont ces systèmes-là avaient créé presque ces folies en fait. Nous on l’a un peu vu du côté de la folie et notamment on l’avait aussi montré dans l’aéroport, parce que l’aéroport c’était ça qui nous avait le plus marqué. C’était l’individu qui pète un câble dans la file d’attente, ça c’est vraiment l’individu isolé, celui qui a tout d’un coup envie de tout balancer, tout casser parce que c’est insupportable, il n’en peut plus. Et donc là on est dans un isolement et souvent il se montre en spectacle, il y a un côté les exhibitionnistes, tout le monde le filme avec son téléphone portable, etc. Donc ça c’est vraiment, évidemment, la perversité du...

Public – Il y a une fabrique d’accumulation dans ce que vous fabriquez, qui permet à un moment de re-réaliser la déréalisation qui se fait par ces images. Donc là, on prend de la distance par rapport à ça. Où est le seuil de saturation des gens qui n’ont pas cette possibilité de percevoir cet effet accumulatif ? Et à partir de quand ça va péter ?

Stéphane Degoutin Ça c’est une bonne question. Ça c’est peut-être le problème en fait. Comment, oui, à partir de quand ça va péter ? C’est une question que je me pose en permanence. Justement dans l’aéroport par exemple, à chaque fois je me dis mais comment ça peut tenir ce système ? Et même dans l’agriculture, parce qu’il y a une partie sur l’agriculture automatisée avec les machines, rien qu’à regarder les images qu’on trouvait, souvent c’était des pubs en plus. C’était même pas des images militantes qui dénonçaient, c’était des publicités des fabricants des machines à l’adresse de ceux qui allaient les acheter. Donc des machines agricoles, de production intensive. Et rien que ça, c’est sidérant. Et c’est ce point-là effectivement qui est... C’est vraiment ce point-là, c’est très juste. Merci pour la question, parce que c’est vraiment le point où justement en tant qu’artiste on se dit "ah tiens là, on a des outils" parce que c’est une question plastique, c’est une question esthétique, dans la musique ou dans les images de stock, ou autre, c’est une question où en tant qu’artiste on a des outils pour comprendre un peu ce qui se passe et on essaye modestement à notre échelle de, effectivement, alors, re-réaliser la déréalisation, la formule est très belle, je ne sais pas si ça fonctionne, mais en Il y a quelque chose qui est invisible, qui est fait pour être invisible, qui est fait pour être un bain dans lequel on nage sans s’en apercevoir. Et comment le rendre visible, ça c’est une vraie question compliquée parce que... Alors comment le rendre visible, ça c’est une question pour nous et puis effectivement la question que vous posez pour le commun des mortels qui baigne dedans, c’est une autre question là qui est encore plus compliquée sans doute et à laquelle on n’a peut-être pas la réponse. Donc je ne vais pas répondre à votre question, mais merci pour la question.

Public La réponse sera collective.

Stéphane Degoutin Certainement, oui.

Public Mais je pense que chacun va le chercher. C’est une quête de soutien, mais qu’est-ce qui pourrait déclencher le mouvement ?

Stéphane Degoutin Oui, et puis il y a ce côté extrêmement insidieux de voir... Effectivement, on baigne dans quelque chose, et puis on le voit pas, on le voit à la fois. C’est pas non plus invisible, c’est vraiment la stratégie de l’offuscation. C’est là, c’est en pleine vue, et néanmoins, on le voit pas.

Gwenola Wagon Je sais que, en tout cas, moi, j’avais vu le film Notre Pain Quotidien. Je ne sais pas si vous l’avez vu. Et je sais qu’après ce film, j’ai changé tout, tout, tout. Enfin, je veux dire, à un moment donné, ça m’a fait un point de bascule. Le film a provoqué chez moi l’impossibilité d’aller dans un... Pendant longtemps, d’aller dans un supermarché au rayon frais, voir les trucs sous plastique. Je ne pouvais pas. En fait, c’était horrible. Et donc, c’était un peu ça. Je pense que c’est aussi certainement... Moi, c’est souvent des films qui m’ont fait bouger personnellement. Donc, il y a un peu l’idée de continuer ça, même si c’est une micro goutte, bien conscient d’être tout petit. Mais il y a aussi cette envie de faire des films par rapport à ça, dans le sens où c’est aussi redonner peut-être la force que moi, j’ai quand même reçu d’autres, de la part d’autres cinéastes.

Public Moi, je voulais juste poser une question par rapport à cet slogan qui est apparu au début de la Révolution française. Le bonheur est une idée neuve en Europe. Qu’est ce que vous en dites vous par rapport à ça ?

Stéphane Degoutin Ce serait drôle, mais c’est drôle parce qu’effectivement, quand on travaille sur le bonheur, il y a ce moment qui m’est revenu en tête et effectivement, il y a du chemin qui a coulé depuis. Mais si vous posez la question, c’est sûrement que vous avez.

Public Non, non, je n’ai pas. Je n’ai que des questions. La seule question que je me pose par rapport à votre travail qui est passionnant, qui m’étonne, c’est vous qui m’étonnez ou deux parce que vous êtes des archéologues, enfin vous êtes des archivistes des archives, ce qui est passionnant, cette mise en abîme de l’archive par l’archive, c’est-à-dire que vous reconstituez des archives, là où il y a déjà des archives, des nids d’archives, modernes, très modernes justement, et l’idée neuve du bonheur étant une idée justement très moderne, et là vous êtes en plein là-dessus, vous travaillez dans un bain comme ça, ça fait penser à plein de de films, effectivement. Ça va de Matrix à Baudrillard, etc. Mais c’est là où j’en suis, moi, simplement. Je n’ai pas d’explication, j’ai juste des questions. Je me pose des questions, c’est tout.

Stéphane Degoutin En fait, je vous renvoyais lâchement la balle.

Public J’ai bien vu.

Stéphane Degoutin Justement, j’y pensais il n’y a pas longtemps et j’étais en train d’essayer d’articuler des choses dans ma tête qui ne sont pas tout à fait assez mûres pour être prononcées en public. Mais c’est effectivement une question qui... Parce qu’on est quand même au 18e siècle, le bonheur est une idée neuve, c’est aussi qu’on est quelque part pas loin de la période romantique, etc. Et qu’il y a quelque chose qui a émergé à l’époque et qui aujourd’hui, on le regarde peut-être avec un regard très différent, deux siècles et demi après.

Gwenola Wagon C’est pas le même bonheur, mais c’est quand même dans le bain de l’époque.

Stéphane Degoutin et tu veux dire le bonheur d’aujourd’hui ?

Gwenola Wagon Le bonheur dont on utilisait le terme qui pour moi renvoie plus au bien-être qu’au bonheur et à la wellness. Le terme américain me semble encore mieux, wellness. Et plutôt lié au confort d’ailleurs, c’est une critique du confort aussi, parce que la critique de l’Amazon qu’on a fait de projet en projet, surtout on a fait une critique d’Amazon sur tous nos projets quasiment, quasiment. Donc c’est un peu le cheval de bataille. Mais c’est vraiment la critique du confort ou de la chose clé en main qui arrive à l’instant T comme par magie chez soi dans lequel on n’a aucune idée de ce qui s’est passé derrière le colis qui est là derrière de votre porte. Tout a disparu. Et derrière il s’est passé des cargos, des tonnes de production de plastique, de machins, de gens exploités. tout ça c’est hop disparu et donc c’est cette amnésie de ce système là fabriqué aussi sciemment par son entre guillemets créateur Jeff Bezos qui a été un peu aussi à l’origine de pas mal de projets et notamment lui, c’est la société du confort, c’est Homo Comfort de Stefano Bonni, Enfin, beaucoup de théoriciens ont écrit là-dessus, mais c’est vraiment dans cette perspective-là où il y a tout d’un coup ces matériaux bon marché, ces plastiques qui émergent après-guerre, dont on ne sait plus quoi faire, et qui transforment le monde en fait, et transforment même l’idée du recyclage qui n’est plus du recyclage vraiment, le cycle de vie qui est perturbé par tous ces toxiques, et qui amène à une sorte de moment complètement ubuesque, enfin moi que je vois complètement ubuesque, et dont on essaye de dépeindre des petites parcelles, et donc il y a toujours cette idée aussi de comprendre, certainement c’est ça aussi, comprendre ce qui se passe, et même revenir en arrière à chaque fois, peut-être de plus en plus loin, pour avoir ces espèces de perspectives historiques, C’est un peu comme ça qu’on...

Stéphane Degoutin Peut-être que... alors je risque une réponse, mais vraiment c’est complètement... sans filet, sans filet... Mais peut-être que c’est un peu comme le bonheur, c’est peut-être un peu comme le plastique, c’est-à-dire que le plastique au départ c’est quand même une solution miracle, ça sert à tout, c’est génial, etc. Et puis à un moment donné on se dit "mais c’est n’importe quoi, ça génère une pollution, pas possible". Enfin, on se rend compte du coût écologique, etc. Et le bonheur peut-être qu’il y a un schéma qui est un peu similaire où à un moment donné on se dit "ah oui on découvre le bonheur qui est quelque chose qu’on peut enfin saisir" et puis qu’aujourd’hui on se rend compte que derrière ce mot bonheur, évidemment pas forcément la chose bonheur, mais derrière le mot et l’idéologie qui va avec, effectivement c’est une idéologie qui correspond très bien à l’ultralibéralisme, au recentrement sur l’individu et que tout d’un coup ça devient un peu comme un plastique gênant, un sac plastique dont on ne sait plus quoi faire et on ne sait plus dans quelle poubelle de tri le mettre, puis à la fin on veut quand même le garder parce qu’il était assez pratique et donc ça devient un petit peu un objet embarrassant, un peu comme l’aéroport international, la voiture, la télévision, etc. etc. etc. la climatisation, enfin voilà, tous les objets gênants du 20e siècle, du 19e siècle ou du 18e siècle, je sais pas, je tente ça en direct.

Public – Une petite question, j’ai perçu un petit sens critique sur la psychologie positive. Je me posais la question de savoir, aujourd’hui il y a une démarche systématique de psychologisation dans la société, est-ce que pour vous c’est lié à cette fabrique du bonheur ?

Gwenola Wagon En fait, c’est que la psychologie positive, au départ, Émile Coué, qui invente l’auto-suggestion, tu te sens, tu vas bien, tout va mieux, nanana, méthode de très, voilà, aucun problème, ça fait partie, ça existe certainement bien avant Émile Coué, va donner naissance à ce qui va se nommer après, a posteriori, comme la psychologie positive, tu me diras, Martin Seligman et qui va faire la science du bonheur. Et lui, ça devient le scientifique du bonheur aux États-Unis qui commercialise la psychologie positive et qui fait un énorme marché avec du business, tout simplement. Et ça devient le marketing de soi, lié au mouvement New Age, etc. Et qui devient une espèce d’immense... Là aussi, on retrouve l’idée d’un individu... l’individualité poussée à son maximum Et etc etc et donc c’est ce cette psychologie là dérivée vraiment même déformée des mille couets parce que Emile Couet n’était pas du tout là dedans bien au contraire mais c’est une déformation et qui aussi va contre la psychanalyse va plutôt du côté des sciences cognitives et de la technocratie aussi finalement quoi

Public Je poussais là dessus pour entendre ça

Gwenola Wagon -Ouais, c’est la technocratie du bonheur.

Public -Et du coup, lié au développement personnel, comment vous voyez ça ? Puisque ça va avec, j’imagine.

Stéphane Degoutin -C’est pour moi.

Public -On a vu des scènes de développement personnel ?

Stéphane Degoutin -Oui, oui. Oui, après, moi, je peux que répéter ce que tu viens de dire, donc non, j’ai rien à rajouter. Mais oui, tout à fait.

Gwenola Wagon -On n’a pas nommé, mais c’est assez intéressant, dans les images des Erewhoniens, Erewhonienne d’Erewhon, il y avait pas mal de séminaires d’entreprises. de développement personnel et de ces méthodes de team building, à l’époque c’était... Ou alors, voilà, où les entreprises mettent leurs employés à faire des jeux où ils vont jouer à des trucs pour travailler ensemble, coopérer, etc. Et ces mouvements-là, là on est vraiment dans le... Dans la... ouais, tout est dit... enfin, il y a tous ces... tous ces mouvements en quelque sorte s’assemblent, en quelque sorte, dans ce côté de team building. Il peut y avoir des trucs bien en team building, c’est ça. Mais c’est vrai, enfin, le team building, un exemple extrêmement intéressant, c’est qu’en fait quand ça arrive dans l’entreprise, il y a une sorte d’obligation, c’est un peu comme le phénomène des lettres de motivation, où vous êtes obligés d’être motivés, où vous allez...

Stéphane Degoutin Alors évidemment, il y a un artiste, Julien Prévieux, qui s’est moqué de ça manière assez brillante en écrivant des lettres de non-motivation pour répondre à des annonces absurdes avec des lettres expliquant pourquoi ils ne voulaient surtout pas faire le métier qui était proposé et en expliquant de manière détaillée pourquoi. Mais la lettre de motivation en soi c’est une obligation de motivation qui est complètement absurde de même que l’injonction au bonheur en entreprise est extrêmement gênante parce qu’on va vous faire un séminaire de team building et vous êtes obligés d’être motivés avec vos collègues. peut-être de jouer à des jeux qui vous semblent drôles ou ridicules ou pas, enfin peu importe, ça dépend de chacun, on peut aimer ou pas, mais vous êtes obligés d’être heureux au travail. C’est une obligation, c’est devenu une obligation dans certains milieux. Alors là peut-être pas partout, mais dans certains milieux c’est devenu une obligation. Et ça c’est quand même effectivement extrêmement gênant, en dehors du fait même que la psychologie positive théorisée par Martin Seligman repose sur des présupposés tout à fait discutable, qui ont été beaucoup critiqués. Il a fait toute une science où il mesure le bonheur, il le quantifie, il fait des statistiques, il considère que le bonheur est une science.

Gwenola Wagon Donc là, ça va vraiment...

Stéphane Degoutin On peut aussi faire des comparaisons internationales sur le sujet. Enfin, c’est pas très très loin des plantes avec Bach d’un côté et Led Zeppelin de l’autre. on est un peu dans la même gamme.

Public Ça a à voir avec la soumission ou la résignation au bonheur.

Stéphane Degoutin Oui, c’est vraiment tout ce qui est motivation.

Public Et du coup, ça me fait penser à un autre débat qu’on a eu qui était sur la résilience où on était aussi dans le même, quand on fait une critique un peu du bonheur illusoire, et on pouvait parler de cette question, comment ça se fabrique. Est-ce qu’on n’est pas arrivé, c’est une question, est-ce qu’on peut aller plus loin dans une civilisation aussi absurde ? Est-ce qu’on n’a pas atteint des limites ? D’ailleurs, vous avez esquissé au début de votre intervention quelque chose qui ressemblait à une alternative à tout ce cyber-monde. il y aurait une réponse. Est-ce que ça, c’est pas quelque chose qu’il faudrait aujourd’hui essayer d’évaluer ? Ça donne quand même un point d’accroche, pour ne pas dire un point d’espoir, dans ce qui peut, ce qui est possible de vivre de manière différente à partir d’un monde qui est devenu complètement absurde et qui s’autodétruit.

Gwenola Wagon Déjà, quand on faisait les héréwoniens, en fait, les tâches absurdes au bureau par exemple, finalement pas longtemps après, il y a eu tous ces mouvements, des employés qui refusent de le faire, qui quittent leur travail, des démissions, des gens qui le font mal volontairement, enfin le fait de mal faire son travail parce qu’on n’est pas content c’est aussi une forme de... Et puis aussi le fait de montrer que c’est absurde, je pense qu’aujourd’hui ça devient enfin dans la jeune génération, dans les générations après nous, je pense que ça devient clair que c’est absurde. Je pense qu’il y a aussi quelque chose qui s’opère là-dessus et qu’il y a une conscience de l’absurdité de pas mal de tâches. Donc il y a aussi ces mouvements-là qui sont là en parallèle d’autres formes de résistance, mais il y a aussi le "Barthebly", quoi, je ne veux pas, enfin je le fais pas en fait, c’est trop bête, quoi. Et qui, à mon avis, c’est peut-être aussi important, la résistance à le fait de faire mal son travail, quand c’est juste absurde et débile. Enfin, nous c’est un peu comme ça qu’on fait dans notre tâche administrative. Heureusement, on s’est mis d’accord là-dessus, quand c’est débile, on le fait pas, quoi. Voilà, c’est tout. C’est juste débile. Donc, il faut juste arriver à bien faire savoir ça, et à montrer aussi l’absurdité. Moi, je pense que plus on montre l’absurdité du système, plus ça génère la conscience de l’absurdité du système et plus ça fait boule de neige ensuite donc c’est aussi un travail De pointer les aberrations quoi c’est enfin je sais pas si de pointer les aberrations dès qu’on peut quoi je sais pas comment.

Public À la fois on voit bien le côté absurde par l’accumulation de ce que vous montrez mais en même temps je trouve ça va ça pose une autre question c’est celle de notre imprégnation en fait à ces images parce qu’on est sans arrêt exposé à ça. Je pense que c’est un peu une réponse à ce que vous disiez tout à l’heure. Les marins pêcheurs, les gens qui sont très loin du monde de l’informatique ou de l’Internet ou des bureaux, ils sont quand même exposés aux images complètement blanchies. Mais en même temps, moi, ça m’arrive de les regarder, les Lol Cats, ou même de rigoler. Quand je... Enfin voilà, les images que vous montrez souvent, elles sont ultra En fait, c’est compliqué parce que vous les montrez là, on voit le côté absurde, mais en réalité, elles sont vraiment efficaces. C’est ça qui est difficile, je trouve. C’est comment arriver à comprendre le mode de fonctionnement, mais réellement efficace de ces trucs totalement absurdes. Ça renvoie un peu aussi à la question de l’exercice. Si bête qu’il soit un exercice, moi, je suis bête, j’ai envie de le faire un peu ou pas du tout. mais voilà, fermer les yeux, ça m’a fait du bien de passer une minute les yeux fermés. Donc ça questionne quand même le... pourquoi ça marche si bien quoi ? C’est pas simplement la puissance des... enfin pardon.

Stéphane Degoutin Non, non, juste pour répondre sur ça, on voulait pas du tout dire que ces exercices étaient en soi absurdes. C’est... enfin... les exercices en soi, fermer les yeux, faire de la méditation, c’est évidemment pas absurde en soi. C’était juste pris dans une idéologie qui les utilise pour un certain fin, où là ils prennent un sens différent. Mais évidemment la méditation n’a pas été inventée par le libéralisme. Et pour les images c’est pareil. C’est juste le bain dans lequel on est aujourd’hui à tel moment. Et par contre ce qui nous semble hyper important c’est l’aspect ultra massif dans lequel on est. Les images de stock, quand on a fait notre enquête sur les images de stock, on a été vraiment effaré de voir le nombre, la quantité qu’il en existe. Shutterstock, le leader du marché, a des milliards et des milliards d’images en stock. Elles sont absolument partout, à des endroits où on ne les voit pas du tout. Donc le côté massif et invisible est extrêmement frappant. Et c’est le même côté massif et invisible pour par exemple les anthropologistiques d’Amazon ou autres vendeurs en ligne qui sont des infrastructures gigantesques. Amazon, enfin c’est des chiffres comme ça qui sont dingues, mais chaque année Amazon investit 8 milliards de dollars juste dans la logistique. 8 milliards de dollars c’est un truc, voilà, c’est gigantesque, c’est vraiment des sommes. Alors ça lui permet évidemment d’avoir une position ultra dominante sur le marché, de casser la concurrence, de tuer ou racheter tous les petits... c’est des logiques ultra capitalistes tout à fait classiques, mais le côté invisible et et massif se retrouve dans quasiment tous les systèmes qu’on appelle obscurs qu’on a montré ici. Et ce côté massif, voilà, c’est le côté bain dans lequel on baigne, là, qui est... Oui ?

Gwenola Wagon Non mais je pense que la question que tu poses, elle est aussi dans ton livre. Enfin c’est ça que je trouve assez intéressant, Jean, parce que c’est vraiment... même, c’est presque la question de ton livre sur les images des camgirls, qui elles aussi sont massives parce qu’on en a des tonnes et des tonnes aussi. Et ce voyeurisme dont tu parles aussi, c’est ça qui est assez intéressant dans ton livre, c’est la manière dont finalement on est pris au piège de notre propre voyeurisme et de notre pulsion scopique. Et la manière dont ces systèmes finalement absorbent le regard et absorbent notre plaisir de voir. Parce qu’on a du plaisir à voir. et voilà, voir un petit chat qui fait miaou en chantant Bach, je sais pas, ça doit exister j’imagine, et ben ça fait rigoler et ça fait plaisir quoi, voilà c’est tout, on va pas se le cacher quoi. Enfin en tout cas pour moi. Et donc à un moment donné le problème c’est pas qu’il y a un petit chat qui chante du Bach en faisant miaou calé sur le rythme, c’est qu’il y en a des tonnes. Et qu’ils sont tous bien encapsulés dans votre iPhone et qu’il n’y a plus qu’à faire clic clic clic ils apparaissent tous les uns à la suite des autres sans jamais s’arrêter. Donc ça, c’est... En ce moment, on fait part... Voilà, on est dans ce monde-là. La question, c’est effectivement, qu’est-ce qu’on peut y faire ? Comment on peut agir ? Mais en même temps, on ne peut pas le fermer, ce monde. Ce n’est plus une boîte de Pandore où on peut faire comme ça. Donc il faut aussi apprendre à y vivre. Et j’ai l’impression que dans nos projets, on essaye d’y vivre. Parce qu’on ne va pas y mourir. Enfin, on va y mourir, mais peut-être qu’on essaye d’y vivre quand même. Et donc il s’agit aussi de le dépeindre, de le montrer, de l’ausculter, de le regarder, de l’analyser, de ne pas se leurrer parce que ça sert à rien de faire comme s’il n’existait pas, il existe. Donc il y a aussi un moment de prise, enfin c’est horrible de dire ça, mais... d’acceptation, même si... Mais évidemment on essaie de tout faire pour le changer, mais... mais d’abord il y a l’acceptation du monde dans lequel on est. Même s’il est horrible, il est là quoi, enfin ce côté là je veux dire.

Stéphane Degoutin Il y a ça, mais il y a aussi le... Ah pardon, on répond trop long et ça empêche les gens de poser des questions. Mais il y a le truc tout bête que la différence entre une drogue et un médicament, c’est la dose. C’est-à-dire qu’à un moment donné, bon, évidemment, le plaisir, la méditation, le bonheur, tout ça sont des choses tout à fait positives. Si ça devient une sorte d’addiction, évidemment, enfin voilà, c’est le problème principal. Et donc d’où l’importance de l’aspect massif des choses.

Public Ce que je trouve intéressant dans votre projet, c’est qu’il y a un côté pédagogique. Et si je ne me trompe pas, on n’est pas nés avec Internet, tous autant qu’on est là. Et nous, on a encore cette possibilité d’avoir ce regard critique en fait, et d’adhérer à ce que vous dites. Je serais curieuse de voir des collégiens, des lycéens, voir ce que vous faites et comment ils réagissent. si c’est déjà arrivé que vous le présentiez, parce que parce qu’ils ont vraiment, ils sont dedans, quoi. Et alors là, pour le coup, ils baignent, ils nagent, ça leur pose aucun problème, quoi.

Stéphane Degoutin Je ne connais pas assez de collégiens pour vous répondre. On a des étudiants, mais qui sont très triés, c’est des étudiants en art, donc c’est une population là, pour le coup, très spécifique.

Public Vous n’avez jamais eu l’opportunité de faire...

Stéphane Degoutin Si, si, on a beaucoup de retours. Moi, j’ai... enfin, nous on a des étudiants très éduqués sur ces questions-là parce qu’ils sont en culture visuelle, etc. Donc c’est pas forcément significatif par rapport à ça. J’ai le sentiment qu’on a parfois tendance à croire trop qu’ils baignent dedans, et qu’en fait ils ont parfois du recul, alors peut-être pas... Mais bon, j’ai pas envie de dire des connexions, tu vas dire un truc beaucoup plus intelligent que moi.

Gwenola Wagon Non mais en fait, je pense que dans ce... Ah bah en fait on a pas les mêmes étudiants, parce que moi je suis à Saint-Denis et j’ai des étudiants à tous les âges, y compris des étudiants qui ne sont pas forcément éduqués à l’image du tout, parce qu’ils arrivent comme ça, ils découvrent, mais j’ai l’impression que il y a aussi quand même un intérêt pour eux dans ce type de travaux de voir que des artistes s’intéressent à leur univers. C’est-à-dire que souvent, mes étudiants, quand je leur montre des films comme ça, parce qu’on a plein d’amis qui font un peu comme nous, je montre beaucoup de films d’artistes de ce type-là, dans certains cours et donc j’ai l’impression qu’il y a aussi le fait de se dire "ah oui enfin on peut raccorder avec ce qu’on vit, on n’est pas en train de faire un grand écart entre ce qu’il y a à voir dans l’histoire de l’art ou dans l’art contemporain et ce qu’on vit tous les jours". Donc c’est ça, c’est plutôt intéressant de relier des univers dans lesquels il baigne, avec une critique ou avec une histoire ?

Public Je vais essayer de faire un petit décalage, je reviens un peu sur la séquence du yoga, du rire, qui est un truc connu, mais je sais que moi la première fois que j’ai entendu parler de ça, ça m’a fait flipper complètement, parce que se guérir forcément individuellement par le rire, c’est un contexte un peu spécial. Alors du coup, ça m’a fait penser, j’ai vu une image comme ça, Bon, je pense que ça a déjà été fait, ça a déjà été dit, mais pour réactualiser un peu avec les manifs qu’on fait en ce moment là, c’est que peut-être un moment au lieu de nous gazer avec des gaz lacrymogènes, ils peuvent nous gazer avec du gaz hilarant, mais en fait ça ne changerait pas les choses, ça casserait aussi notre colère en fait. Et dans cette colère, c’est là où se crée du bonheur, c’est là que les visages se détendent, c’est là que les gens se sourient, c’est là qu’il se crée une autre espèce de bonheur, mais qui est un bonheur collectif et qui dépasse un peu tout ça.

Gwenola Wagon Oui, tout à fait. C’est juste.

Stéphane Degoutin C’est joliment dit. Et puis en fait, oui, verser du gaz hilarant, bon, ça se fait pas en manif, mais c’est un peu ce qui est fait, voilà, de manière... Enfin, c’est une métaphore pour ce qui est fait en réalité, c’est du pain et des jeux, c’est la vieille formule.

Public Moi je voudrais que vous reveniez sur le film là, sur l’histoire de... où il n’y a plus de travail, enfin, les gens ne travaillent plus, et à un moment donné vous avez fait des montages par rapport à des scènes. Ce qui m’intéresse c’est de savoir comment ça se passe. On a eu qu’un extrait.

Stéphane Degoutin Oui, on a été un peu rapide sur l’explication. C’est un projet un peu compliqué, du coup on a montré qu’un extrait. Alors si je reviens à l’origine, en 1872, il y a Samuel Butler, qui est un écrivain anglais, qui publie un livre qui s’appelle "Erewhon". Il commence à écrire ça quand il est en Nouvelle-Zélande avec des moutons. Enfin bon bref, peu importe, je vais pas tout dire. Et donc Erewhon, c’est un roman utopique où un personnage va au-delà des montagnes et découvre un peuple que personne ne connaissait, les Erewhoniens. Et ce peuple le met en prison immédiatement, le personnage du livre, parce qu’il porte une montre. Et en fait, dans cette culture, dans cette civilisation, tout objet technique est interdit parce que les Erewhoniens croient que les objets techniques peuvent évoluer selon la théorie de l’évolution de Darwin qui a été publiée quelques décennies plus tôt, et enfin, dans lequel du coup inspire le livre, mais les héréwoniens ne la connaissent pas parce qu’ils ne connaissent pas Darwin. Donc les héréwoniens croient que les objets techniques peuvent évoluer plus rapidement que les êtres humains, et donc peuvent se révéler dangereux pour eux. Donc le livre date de 1872, alors il est évidemment assez célèbre parce que c’est une théorie tout à fait étrange pour l’époque. Et donc on s’est dit "tiens, on va adapter ce livre, et on va le réadapter aujourd’hui, avec l’idée que Samuel Butler, donc le personnage du roman, revient aujourd’hui, regarde des vidéos sur YouTube et se dit "bon bah les hérévoniens se sont complètement trompés". Enfin je veux dire, ils n’ont pas du tout réussi à éradiquer les machines, ils ne se sont pas trompés, mais au contraire ils ont eu tellement raison qu’ils ont échoué dans leur désir d’éradiquer les machines parce qu’en Hérévois, dans 1872, il n’y a aucune machine. Alors oui, j’ai oublié de préciser, mais les hérévoniens évidemment ne sont pas un peuple qui ne connaît pas les machines, ils connaissent très bien les machines et c’est pour ça qu’ils les ont supprimé. Donc il y a un petit côté aussi, ça flirte un peu avec le ludisme, enfin il y a plusieurs résonances intéressantes. C’est quelque part entre le ludisme, Charles Darwin, tout ça, enfin bon. Et puis il n’y a pas que ça dans le livre, il y a plein plein plein d’autres histoires complètement folles dans le livre. Et donc on s’est dit on va adapter ça à l’époque actuelle. Samuel Butler revient, mais il revient comme une sorte de spectre. Il voit des vidéos sur YouTube et il essaye de comprendre ce qui se passe dans un monde qui est envahi de machines. Et donc le film, alors Alors là on vous a montré un passage où il n’y a pas de machine, mais tout le début du film décrit un univers dans lequel tout serait complètement automatisé, plus rien ne serait fait par des êtres humains, et donc ils n’ont plus besoin de travailler. Et donc d’une certaine manière, le film prend le parti de prendre au premier degré tous les rêves de la Silicon Valley qui promettent un univers entièrement algorithmique, réglé de manière automatique, etc. Et comme si Samuel Butler, qui lui vient du 19e siècle, le voyait comme ça, en se trompant du coup, en analysant les images de manière fausse, parce qu’il regarde des vidéos sur YouTube sans vraiment réussir à décoder les choses. Et donc tout le film est entièrement fait d’images trouvées sur YouTube, il n’y a pas une seule image qu’on a fait nous-mêmes, mais qui sont agencées de manière à faire croire que c’est un récit de science-fiction qui se passe dans un monde entièrement automatisé. Bon c’est un peu compliqué à raconter comme ça, mais c’est ça l’idée. Et donc du coup on cherche les... Voilà, c’est une sorte de fable philosophique dans laquelle on cherche les conséquences ce que ça pourrait avoir dans une dizaine de chapitres comme ça, qui durent cinq minutes chacun et qui abordent différents sujets. Les relations des chats avec les aspirateurs robots, les gens qui ne travaillent plus, qui font des jeux au bureau, un univers de spa total. Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans le film ?

Gwenola Wagon Oui, il y avait le dilemme entre les animaux qu’on mange et les animaux qu’on aime, qui ne sont pas les mêmes. Ça s’appelle Animal Amour. Les plantes qui, elles, vivent toutes seules parce qu’elles ont besoin de l’énergie solaire et de l’eau. Et jusqu’à le rêve d’ingénieur. Il y a toute une histoire sur le rêve d’ingénieur. Donc le rêve d’ingénieur de la Silicon Valley. En gros, c’est un peu le fantasme de l’automatisation qui est le rêve de l’ingénieur dans le sens où est Silicon Valley, pas l’ingénieur.

Public Oui, mais c’est quand même quelque part, c’est ne travailler plus.

Gwenola Wagon C’est alors, c’est oui, c’est – Oui, en fait, ne travailler jamais, mais c’est pas le sens de Debord. C’est pas Debord, du tout, parce qu’on est plutôt... Mais ça serait plutôt... Parce qu’en fait, dans le livre de Samuel Butler, ce qui était assez intéressant, c’est que les hérévoniens avaient enlevé petit à petit leurs machines. D’abord, ils avaient enlevé les machines les plus gênantes, puis après, et puis progressivement, ils en enlevaient à chaque fois une, et ça, c’était assez intéressant, comme ressort d’écriture parce que voilà on aurait très bien pu imaginer que...

Public – Oui qu’il fasse table rase d’un seul coup.

Gwenola Wagon – Mais en fait nous ce qui nous intéressait aussi c’était de voir que dans cette espèce d’état idyllique de ces héréwoniens qui tout d’un coup sont pris en charge complètement par un système qui tourne tout seul sans eux, finalement c’est un peu absurde parce qu’il y a un moment assez étrange. Alors évidemment on n’a pas... en fait c’est comme c’est qu’avec des images d’archives, de documents, ça raconte aujourd’hui, parce qu’en fait nous c’était l’idée de raconter aujourd’hui mais en le décalant. Donc évidemment aujourd’hui on travaille encore, c’est pas du tout ça, donc c’est un peu un aujourd’hui fantasmé.

Public – Excusez-moi, mais quand vous avez fait ce film, vous regardiez, puisque vous êtes des plasticiens, vous avez une culture cinématographique apparemment importante. Il y a un film qui aborde ça de manière connexe, s’appelle La planète interdite. Donc, là aussi, il n’y a plus de travail. La civilisation a disparu, mais il y a quelques mecs. Mais simplement, on peut tous produire sans travail.

Gwenola Wagon C’est vrai, c’est vrai. C’est un magnifique film de science-fiction d’ailleurs. Très très beau. Oui, c’est vrai. C’est marrant, moi je n’ai pas pensé à ce film quand on l’a complètement oublié, alors que j’adore ce film. Il faut qu’on le revoie. Merci.

Public Merci.

Stéphane Degoutin Et là, c’est vrai, on part vraiment, c’est pour ça que Gwenola disait que ce n’est pas très Debordien le film, on part vraiment comme si on... En fait, tout le présupposé du film c’est de dire, ok, d’accord, ce que disent Elon Musk, Jeff Bezos, on croit tout. Et on croit tout ce que vous dites. Et qu’est-ce qui se passe s’il se passe ça ? Et donc on rentre dans une sorte de délire mental d’imaginer que tout ça est vrai et que toutes les publicités entre guillemets que nous vendent la Silicon Valley existent, que tout ça est réalisé et qu’est-ce qui se passe. Voilà, c’est un peu le présupposé du film et en fait du coup ça fait écho à Samuel Butler qui lui-même était quelqu’un qui était beaucoup... – Une anticipation sociale. – Voilà, ouais. Mais Butler était quelqu’un de vraiment... C’est l’anticipation assez... Enfin c’est très étrange, c’est une manière de penser vraiment tout à fait étrange. Il a aussi écrit un livre pour écrire qu’Hamlet était une femme. Enfin, il a une imagination tout à fait... Les banques musicales. Les banques musicales aussi, voilà. Il y a plein de choses tout à fait intéressantes. Il a un chapitre d’Erewhon, enfin bon, ça c’est très actuel aussi, où il dit, voilà, bon ben, en Erewhon, on ne tue pas d’animaux pour les manger parce que c’est cruel, mais du coup, on ne tue pas non plus de végétaux parce que c’est cruel aussi. Donc, il faut que les végétaux ou les animaux soient morts de mort naturelle si on veut les manger. Sinon, on ne les mange pas. Donc du coup il y a évidemment tout d’un coup plein d’animaux et de végétaux qui meurent de mort naturelle comme par hasard à ce moment là. Enfin voilà, ils poussent les idées assez loin dans la logique des choses et le livre est structuré avec plein de chapitres mais il y a je sais pas 50 histoires comme ça dedans, c’est vraiment délirant. Bref. Les Quakers ? Les Quakers, oui ça c’est... Il est Quaker ? Ah il... Non non, pas du tout, c’est vraiment un original anglais, un excentrique anglais dans la plus pure tradition qui s’est retrouvé à élever des moutons en Nouvelle-Zélande. Et le métier de colon lui correspondait sans doute pas très bien. Et puis pour s’occuper, il a écrit des fantaisies inspirées des recherches de Darwin, et puis ça l’a emmené là-dedans. Il semble qu’il y ait un présupposé.

Public Au début, on entend "on a" ou "nous avons externalisé notre être".

Gwenola Wagon  – Ah ça c’était World Brain. On a externalisé... Oui alors World Brain c’est le début, le terrier. Là c’est l’idée qu’on externalise la mémoire, et qu’on la met dans la tête coupée de Saint-Denis. Oui c’est vraiment... A l’époque quand on l’a fait, on aurait pu dire on forçait un peu le trait en 2014 quand on écrivait. Et aujourd’hui j’ai l’impression que c’est pas non plus si faux.

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atelier des recherches #3

Gwenola Wagon Bonjour et merci Jean et merci au Cercle Garmeski de nous inviter. Pardon, excuse-moi. Et donc, "Voyage dans les systèmes obscurs", c’est un peu la proposition qu’on a faite à Jean sur la proposition de participer à Tigrou, en se disant que ça pouvait vraiment bien se rencontrer. Donc en fait, c’est un projet de recherche qui est en cours, dont on va parler à travers d’autres projets qu’on a déjà réalisés pour aussi montrer une sorte de démarche. Mais le processus étant de partir du constat que la plupart de notre travail se faisait sur des enquêtes à partir de systèmes techniques assez complexes et rendus parfois difficiles à comprendre et à décrypter et même à s’y intéresser. Parfois des systèmes qui n’intéressent pas du tout les gens parce qu’ils ne sont pas peut-être, ou parce qu’ils sont mal compris. Et donc on a fait tout un projet depuis longtemps sur les réseaux internet, les data centers dont on va parler, etc. Et on s’est dit que ce qui nous intéressait c’était de continuer ce projet en faisant une collection de tours, de visites, de visites guidées dans des lieux auxquels on n’a pas toujours accès, pour visiter vraiment les lieux qui parfois posent le plus de problèmes. ça allait de... voilà, et là du coup on va montrer des images. Donc le texte, redit un peu mieux ce que je viens de dire, donc c’est un atelier laboratoire qui propose des enquêtes dans des systèmes techniques invisibilisés et qu’il s’agit d’explorer et notamment beaucoup concerne des infrastructures logistiques qui sont cachées dans les rouages qu’on appelle la société nuage, dont on va parler un peu après, et qui peuvent aussi parler de réseaux de pouvoir globalisés. Et pour les visiter, on fait appel à des artistes, donc là on est un peu curateurs, et ces artistes, l’idée c’est de les inviter à intervenir pour emmener des gens, en quelque sorte, à aller voir ce qui s’y passe. Là on vient de voir un projet de Mario Santa Maria qui s’appelle Internet Tour, où en fait il amène des groupes se rendre compte des infrastructures d’Internet qui sont très physiques puisqu’elles occupent l’espace. Et il a créé ce bus qui s’appelle Internet Tour. Et là c’est des visites d’entrepôts de type Amazon qui sont en train de se construire. Et puis après on a toute une série d’autres... Donc là c’est un Corrupt Tour, chaque dimanche à Mexico City on fait un tour de la corruption. à Prague, Corrupt Tour de Prague. Et là c’est un Toxic Tour qui a été réalisé par des artistes avec qui on travaille à Romainville, et artistes, écrivains, éditeurs, qui invitent les gens du Toxic Tour à Romainville. Tu me corriges Stéphane si je dis des bêtises ?

Stéphane Degoutin Non mais peut-être juste pour compléter ce que dit Gwenola. Donc tout ce projet "Voyage dans les systèmes obscurs", c’est un projet qu’on pourrait appeler un projet curatorial. En fait on va réunir des projets qui existent déjà, faits par d’autres artistes, qui existent mais qui sont chacun dans des dimensions un peu différentes et qui ne se rencontrent pas toujours.

Stéphane Degoutin C’est plutôt un projet éditorial ou curatorial pour essayer de mettre ensemble des démarches qui visent à rendre visibles les infrastructures qui sont peu visibles, pas forcément invisibles, mais qui sont essentielles dans la fabrication du monde dans lequel on vit et notamment qui vont déterminer pour ce qui est d’internet mais aussi les anthropologistiques Amazon par exemple ou alors ici chez Eric Rekben Offshore Tours, ce sont des voyages organisés dans la finance offshore, donc on va visiter physiquement les lieux dans lesquels se passent les opérations de finance offshore et donc c’est plein... En fait on s’est rendu compte qu’il y a beaucoup d’artistes comme ça qui ont travaillé sur le fait de rendre visibles ces systèmes qui sont... et c’est des visites qui sont assez paradoxales parce que c’est des systèmes qui ne sont pas très sexy à visiter, c’est pas toujours très... voilà, c’est pas très intéressant en tant que visite, mais il faut trouver des manières de rendre ça concret et le fait de faire des voyages organisés nous semblait assez intéressant en complément bien sûr de toute la littérature qui peut exister. On a bien sûr mis aussi dedans le livre de Jean Gilbert XX.com qui est aussi une sorte de voyages organisés dans un système qui est celui des cam-workers.

Gwenola Wagon Et aussi des artistes qui travaillent sur des projets à travers des écrans, parce que certaines visites se font aussi en ligne, ou celui-là sur l’agriculture intensive numérisée, ou devenue technonumérique, et les problèmes que ça pose. et cet artiste, enfin chercheur, qui travaille aussi sur... Il s’agit d’interroger les données...

Stéphane Degoutin Les dark kitchens, non ?

Gwenola Wagon Lui il travaille aussi sur les dark kitchens et un voyage à travers les données à partir d’internet, en enquêtant à partir d’internet, un peu en... Je passe après sur les dark kitchens parce qu’on n’a pas trop le temps, on va passer un peu... et aussi ces artistes Mathieu Raffard et Mathieu Droussel avec qui on travaille, qui proposent d’interroger les trottinettes en free floating, en libre-service, celles qui ont fait l’objet d’un vote dimanche à Paris, et qui donc ont été bannies, enfin en tout cas avec le nom là en porté, et eux proposent de décortiquer un peu ce type de mobilité en réseau qui pose énormément de problèmes, et d’analyser par le biais de l’observation fine, détaillée, à la manière d’archéologues qui démontrent des outils, qui analysent toutes les pièces détachées, d’où elles viennent, comment elles sont apparues, et comment elles créent parfois des formes d’obsolescence de ces moyens de transport. Et tous les problèmes que ça peut poser en étant dans une observation extrêmement fine. Et jusqu’à même les péchés. Donc là on a fait une séance de pêche avec eux mercredi dernier, une pêche collective, et ça c’est les résultats de nos pêches. Et on a aussi pêché un vie libre au canal de l’Ourc. Donc là c’est... Donc en fait chaque visite prend plein de formes différentes, qui peuvent être des conférences in situ, des choses qui sont plus de type classique, mais parfois plus performatives, et implique aussi des moyens de transport assez différents suivant les invités. Et ils font en fait pour nous, c’est un peu dans la continuité de projets qu’on a fait depuis un certain nombre d’années. Comme celui-ci qui s’appelait "Musée du terrorisme" en 2013, où on invitait un acteur, performeur à parler à l’intérieur de Roissy, un groupe qui était muni d’audio guides et qui ne devait donc entendre sa parole qu’à travers un casque, et à parler des problèmes de surveillance de l’aéroport, tels qu’ils vont se poser après le 11 septembre 2001, et tels qu’ils ont de plus en plus, en quelque sorte, créé un lieu qui s’appelle l’aéroport international, et la manière dont ce lieu est devenu une forteresse extrêmement difficile à utiliser, et en réseau. Enfin voilà, j’abrège un peu mais... Et donc ce livre dont... que Jean a montré tout à l’heure, "Psychoanalyse de l’aéroport international", à travers... suite aux visites qu’on avait pu faire de l’aéroport et aux explorations qu’on a pu y faire, travail sur place, in situ, à la manière un peu d’anthropologues, on a écrit ce livre qui met l’aéroport sur une sorte de table de vivisection et qui en fait... et l’idée était d’en faire un peu une analyse globale de tous ces tabous et de toutes ces "névroses". Alors on avait donc des titres et puis à chaque fois une enquête, chaque chapitre c’est un peu une enquête. Ça va de la compulsion de normalité à l’angoisse de la contamination, à l’état limite humain-machine, au corps transparent dans le scanner intégral. C’était suite aux nouveaux scanners à l’époque qui étaient utilisés dans les aéroports. Aux failles dans l’omniprésence, à la bulle de consolation parce que plus l’infiltration dans les corps s’opère, plus le corps a besoin de consolation. Donc il y a des espèces de mouvements de balance comme ça, entre se rassurer, s’angoisser. le retour du refoulé, donc c’est un chapitre sur les trafics, et les crises d’hystérie dans la file d’attente, donc là c’est un travail qui a donné lieu à des pièces sur le moment hystériques, ou le moment où on peut péter un plomb, ou on est sur le point de péter un plomb sans pouvoir le faire, mais on aimerait le faire, dans des moments d’attente ou de difficulté dans ce type de lieu, jusqu’au spectate... lapsus... jusqu’au passager scotché, qu’on a pas mal vu pendant le Covid, puisque c’était utilisé dans des compagnies comme Ryanair lors de passagers un peu turbulents, avec du gaffeur. Et au moment aussi, comme on a tous vécu, qui sont le moment de palpation et d’exhibition directement aussi des corps dans l’aéroport.

Stéphane Degoutin L’aéroport nous semblait un endroit intéressant, puisque pour nous c’est vraiment une sorte de... L’aéroport c’est comme si on avait une exagération à la fois des promesses du monde dans lequel on vit, promesses de circulation illimitée, de consommation absolue, d’organisation parfaite, et à la fois des promesses qui se heurtent sans cesse à leur contradiction, avec les dangers que ça soulève, etc., les frustrations, l’impossibilité de consommer les produits hors de prix qui sont vendus, et comme si ça faisait un espace de névrose, donc en confrontant les promesses et leurs contradictions, comme si c’était des névroses qui emblématisaient d’une certaine manière le monde dans lequel on vit. Donc c’est un peu l’idée du livre "Psychanalyse de l’aéroport international" de voir tout ce qui se heurte dans ce lieu, qui en fait un lieu symbolique. Et donc, par la suite, ces tentatives d’immersion dans des systèmes techniques un peu complexes, on l’a aussi réalisé avec un film qui s’appelle "World Brain".

Gwenola Wagon On va vous... de celui-là. Et donc Wordbrain c’est un film qui a été réalisé en 2015, enfin en gros entre 2014 et 2015, et qui commence comme un documentaire sur ces systèmes techniques dont on a parlé, qui sont surtout l’infrastructure d’internet et sa physicalité.

Extrait de film Les données.

Stéphane Degoutin Petite parenthèse, l’image qu’on voit ici montre du multiplexage, on retient juste le mot pour l’instant.

Extrait de film qui était stocké dans les disques durs sous forme magnétique, sont transformés en lumière par des processeurs qui affectent à chaque signal une longueur d’onde spécifique. Ils sont ainsi capables d’envoyer simultanément des centaines de messages différents sur une seule fibre et à 200 000 km/s. Je ne veux pas le voir. [Bruit de vent] [Bruit de machine à éclat] [Bruit de machine à éclat] [Bruit de la machine à éclat] [Bruit de machine à éclat] [Bruits de machines] [Bruits de machines] [Bruits de machines] [Musique] C’est ici que nous vivons. [Musique] C’est dans ces fermes de serveurs que sont stockés nos amis Facebook. Les articles que nous consultons, l’historique de nos requêtes Google, nos images, nos vidéos, nos e-mails, nos blogs, nos activités sociales et économiques. Tous les éléments de notre vie en ligne, c’est-à-dire de notre vie tout court. De la poussière d’humains, des fragments, de la poudre. C’est dans ces espaces que sont calculées nos informations vitales. C’est ici que nous faisons nos achats, que nous sommes mis en relation avec d’autres humains. Ces traces se combinent avec d’autres traces. Elles sont transmises, recopiées, répétées, agrégées, recombinées entre elles, que ce soit par des algorithmes ou par des humains. Nous sommes devenus Internet. Nous nous sommes externalisés. Les données informatiques vivent archivées dans des serveurs, alignées dans des data. Elles sont disséminées à travers le monde, perdues dans on ne sait quel banlieue, si tant est que l’on sache même dans quel pays. Leur espace forme une seule entité, s’étendant sur toute la planète, identique partout dans le monde. C’est un espace de contrôle absolu, le lieu le plus extrême de l’univers artificiel. La lumière y est invariable. Le climat extérieur, mis à distance, est remplacé par une température et un taux d’humidité contrôlés. La ventilation en circuit fermé empêche l’introduction de la moindre poussière. Toute perturbation est exclue de cet environnement inorganique, à commencer par les végétaux et les animaux. Tout comme nous tentons de reconstituer dans les eaux l’environnement naturel de telle ou telle espèce, construisons un milieu parfaitement adapté aux besoins des entités qui peuplent les réseaux informatiques. Et en effet, ce milieu est tellement...

Stéphane Degoutin Je laisse les images, mais je vais couper le son. Ce qu’on voulait faire à l’époque dans le film, alors le film comporte plusieurs parties qui sont très très différentes les unes des autres, mais cette partie-là vise vraiment à désigner l’espace de stockage des données à travers le monde et à le montrer, à le rendre visible. Pour ça, en fait, c’est un film qu’on a filmé de manière très très hybride, c’est-à-dire c’est à la fois des images qu’on a tournées nous-mêmes dans les data centers et puis d’autres images qu’on a récupérées sur internet. Et le film joue beaucoup sur cette ambiguïté où on ne sait pas vraiment quelle est la source des images. Enfin, c’est plus parlant vers la suite, mais c’est un… c’est un mode d’enquête qui, en tout cas, pour nous est très utile, d’être vraiment, de fouiller sur internet toutes les images qu’on peut trouver.

Gwenola Wagon C’est-à-dire que la démarche du film, c’était de combler le déficit de ce qu’on ne pouvait pas filmer et les endroits où on ne pouvait pas aller par une enquête d’archives. Qu’on a beaucoup fait, en fait, par ailleurs, et souvent ça a été des films impossibles, notamment on ne peut pas filmer tous les data centers, ni aller au fond des océans pour suivre la pose d’un cap sous-marin, ou en tout cas pas tout ça d’un coup en un seul film. Et donc il y a l’idée de montrer un système global, et pour en montrer la globalité, d’aller chercher par l’archive des espaces manquants. Mais il y a tout un site qui s’est fait ailleurs, avec l’accès aux sources, où toutes les sources sont répartoriées. Et donc il y avait quand même un double du film en ligne. Le film en fait, progressivement, il va déraper de plus en plus pour aller vers une fiction, enfin une spéculation. Et parallèlement à ce documentaire, on va suivre la vie de chercheurs qui partent dans des forêts pour créer un réseau alternatif, en se basant sur des savoirs un peu libres, sur internet, type Wikipédia, et en postulant qu’avec ce type de connaissances il pouvait se passer de pas mal de choses et vivre dans une sobriété la plus grande. Donc c’est un peu une sorte de fable, parabole, comme ça. et ces deux histoires vont s’entrelacer pour se tisser de plus en plus vers la fin du film. Jusqu’à aller vers des choses un peu délirantes qui vont commencer à faire, etc. Donc ce film commence un peu sérieusement, avec une voix très sérieuse, on pourrait dire un peu rébarbatif, et progressivement nous enfonce vers quelque chose de plus en plus spéculatif au fur et à mesure des chapitres. Donc voilà.

Stéphane Degoutin Et je précise aussi que le film est entièrement visible en ligne gratuitement quasiment tout ce qu’on fait on le met en ligne gratuitement sur notre site www.fr comme on est souvent financé avec des fonds publics on considère que ça n’a pas de raison de rester secret

Stéphane Degoutin Sans plus attendre, nous allons passer au premier exercice de coaching bonheur. Donc transition brutale. Vous aurez compris peut-être dès la première slide de cette présentation qu’on va osciller entre deux dimensions très différentes, une dimension obscure et une dimension bonheur. Donc une dimension rébarbative et une dimension étrange aussi. Donc voilà. Mais tout va... Donc on va proposer un petit exercice, quatre exercices dans cette soirée. Premier exercice de coaching bonheur, qui va consister à vous vider le cerveau. C’est parfait dans cette période, c’est tout à fait utile. Donc alors, non, juste je précise un petit peu avant pour que ça soit quand même pas complètement... Parce qu’en fait, voilà, quand on travaille sur les systèmes obscurs, donc ça reste dans la thématique des systèmes obscurs, on va... on s’intéresse beaucoup actuellement à la face obscure de l’idéologie du bonheur et c’est le thème de notre enquête sur laquelle on travaille en ce moment. Donc là on est dans des choses sur lesquelles on travaille en ce moment qui, pour le dire très simplement, on se base pas mal sur des idées par exemple développées par Eva Helouz, la sociologue, dans son livre à Pécracy. L’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Voilà, bon je pense que ça donne le ton. Mais donc du coup on s’intéresse pas mal à justement à faire du sorte de une de reverse engineering, des techniques du bonheur. Donc la technique qui consiste à vider le cerveau par exemple, on peut trouver sur internet plein de choses comme ça. Alors celle-ci par exemple, peut-être qu’on peut jouer la vidéo. Donc une vidéo de nettoyage du cerveau, donc en musique. Attend, j’ai besoin de lire le texte. C’est important. Donc le texte de la présentation de la vidéo, alors on peut en trouver mille du même genre mais celle-ci est assez intéressante. Donc ça améliore le système d’évacuation des déchets cérébraux produits par l’activité des neurones. C’est un des très bons trucs. On a une musique qui est censée améliorer le système d’évacuation des déchets cérébraux produits par l’activité des neurones. C’est le système glymphatique. Les déchets produits par les neurones dans le liquide interstitiel sont évacués dans le liquide céphalo-rachidien, avant d’être éliminé par le réseau veineux. Amélioration de la mémoire, dormir facilement, relaxation très puissante, méditation profonde. On va peut-être le jouer une minute ou deux pour voir si ça vous vide le cerveau. [Musique] Peut-être que pour les effets de la démonstration de ce soir, on n’a pas besoin de la jouer en entier. Je crois qu’elle dure une heure. Après on peut en trouver des vidéos de boucles de 3h, ou 4h, ou 10h, ou 24h. J’en ai mis quelques-unes comme ça, juste pour l’esthétique. C’est assez intéressant. Et celle-ci est pas mal, "Musique de guérison". En tout cas, il existe, depuis un certain temps, des musiques qui ont un but qu’on pourrait dire cybernétique, d’agir sur... En fait, on s’est demandé, mais d’où ça vient ? Enfin, quelle est la source de ça ? Et donc on a fait une petite enquête et on s’est rendu compte que il faut remonter à ce personnage, donc le George Owen Squire, et que c’est assez intéressant d’en faire l’histoire. Et donc on s’est lancé comme ça dans une petite enquête sur les raisons de ça. Donc George Owen Squire, là on le voit... Alors j’ai mis quelques photos pour sa vie. Alors je vais faire une longue digression, on va revenir sur nos pas à la fin. Donc Donc là, il est en 1900 sur le pont du bateau-câblier Burnside qui pose des câbles sous-marins entre les îles des Philippines. Ça n’a aucun rapport avec le bonheur, mais ça nous plaisait bien parce que ça nous relie aux câbles sous-marins. Voilà, en 1900 c’est pour le téléphone, aujourd’hui c’est pour Internet, mais ça nous semblait intéressant. Ensuite, pas longtemps après, il va inventer le floraphone qui utilise les arbres comme antenne. Il travaille pour l’armée américaine, et c’est un truc qui existe en vrai. Donc, dans n’importe quelle région du monde, on met un clou sur un arbre, on met un fil. On est dans les années 1900-1910, donc c’est vraiment les techniques... c’est un gramophone, on est vraiment dans les techniques tout à fait étonnantes. C’est la suivante, voilà, donc le mode d’emploi que vous pouvez trouver dans dans "Electrical Experimenter" de juillet 1919. Voilà, c’est aussi le premier passager aérien. Donc là, il est ici dans l’avion de Orville Wright en 1908. Voilà, et ici à gauche sur la photo avec Wilbur Wright à droite. On ne voit pas forcément le lien que ça va avoir avec la musique Bonheur, mais ne vous inquiétez pas, ça vient. Il est le premier à acheter des avions pour l’armée étatsunienne. Il invente le multiplexage, ce qu’on a vu en rouge tout à l’heure. Sans le multiplexage, il n’y aurait juste pas Internet. C’est une invention très importante. Il est chef du service de transmission des Etats-Unis. Il a des beaux bureaux. On peut passer à la suivante. Il a des beaux bureaux. bureau en 1918. En open space. Il a presque inventé l’open space. A chaque fois il gagne des grades, c’est vraiment un des plus haut gradés de l’époque. Et puis quand il est à la retraite, parce que c’est le sujet du jour, la retraite, donc en tant que militaire il a la retraite assez tôt, il découvre qu’on peut transmettre le son par les fils électriques, alors c’est peut-être pas lui qui découvre ça, mais en tout cas il a l’idée que cette méthode peut être utilisée pour diffuser de la musique. Et à ce moment-là, quand il est à la retraite, il monte une entreprise qui s’appelle "Wired Radio", la radio à fil, qui en fait est à l’époque, qui a pour but de concurrencer la radio, et qui diffuse à faible échelle de la musique, qui coûte moins cher que la radio, parce que la radio à l’époque demande des postes de réception qui coûtent extrêmement cher, et là on peut avoir des choses moins chères. moins cher. Donc c’est une sorte de d’invention commerciale qu’il va essayer d’évoluer dès 1922. Et le truc qui est intéressant c’est que en développant ça, il fonde ensuite une entreprise qui s’appelle Musac. Donc vous avez sans doute entendu parler, puisque le mot Musac est devenu un nom commun en tout cas en anglais, qui signifie qu’il y a beaucoup de synonymes, mais qui peut vouloir dire musique d’accompagnement, musique d’ascenseur, musique d’ambiance, etc. Parce que pour créer cette... donc voilà j’ai mis quelques synonymes ici, musique d’absence, musique d’ascenseur, pour créer cette entreprise et pour diffuser de la musique, en fait, pour des raisons de droit, il ne peut pas diffuser des musiques existantes, et donc il demande à des musiciens de créer des enregistrements, mais des enregistrements qui ont pour but d’être une musique d’ambiance, c’est-à-dire qui n’ont pas pour but d’être écouté comme de la musique, mais juste d’infuser dans l’espace, et de diffuser des atmosphères qui rentrent, qui accompagnent inconsciemment votre mode de vie, sans trop être présent. Donc il fait enregistrer. Alors là, bon, c’est lui et puis après sa mort, puisqu’il meurt assez vite, mais on enregistre des dizaines de milliers d’heures de musique. On peut peut-être jouer là, là, juste sur Play. Voilà, de la musaque. Je la laisse tourner. Donc il y a des... Et ça, tout ça, c’est sur archive.org, le site Internet qui archive beaucoup de choses sur Internet. Donc tout ça est disponible aujourd’hui. Il y a des milliers, des milliers d’heures de musique qui sont utilisées et qui sont créées. Voilà, c’est diffusé par ce genre de choses, voilà, c’est des boîtiers assez simples, on peut passer au suivant, et on en met dans toutes sortes d’endroits, dans des logements, dans des bureaux, dans des entreprises. Là ici c’est pour rendre un lieu un peu plus la suivante. Voilà, donc dans chaque chambre d’hôtel, un peu de musac pour... c’est un peu comme... c’est de la musique papier peint, c’est... enfin, pour reprendre... Ou alors, c’est une musique d’acclimatation. Dans la chambre, vous avez juste un bouton qui va de off à maximum et vous réglez comme on réglerait la température ou le thermostat d’un radiateur. Ça accompagne l’atmosphère... Donc, pas jusqu’ici, ça accompagne l’atmosphère. Là où ça devient plus troublant, c’est que dès 1934, donc en Squiremur, Muzak commercialise la musique d’ambiance dans le but d’ augmenter la productivité des employés dans les bureaux et les usines. Il a pour gros clients, du fait de l’origine de Squire, l’armée américaine, donc les usines d’armement américaines, mais pas uniquement. Et progressivement, Muzak vend de plus en plus sont produits et fait énormément d’études "scientifiques" pour prouver que la musique musaque augmente la productivité parce qu’elle augmente le bonheur des employés. Alors, que ces études soient vraies ou fausses, ce n’est pas du tout ce qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse, c’est bien sûr l’intention qui est derrière et le but, par de la musique, d’augmenter le bonheur des gens. Donc on a toute une idéologie qui se met en place, qui repose sur des chartes de progression à travers la journée, puisqu’on considère qu’on se lève, on est en forme, ensuite il y a un pic à 10h30 où on est un peu moins en forme, puis ça remonte, ça redescend. Et donc à chaque fois, la musique qui va être diffusée va changer en fonction des pics de productivité, etc. et s’adapte au temps de l’employé pour le rendre le plus heureux possible. Donc s’il est heureux, il est productif. l’idéologie du bonheur liée à la productivité, c’est exactement ce que raconte Eva Illouz dans ses livres. Bon, on va pas passer tous les trucs comme ça, mais c’est très raffiné sur les enfin "raffiné" entre guillemets, sur les analyses qui sont faites. Et ça c’est un petit résumé que fait Hervé Vanel, donc qui fait une histoire critique de la musique d’ameublement. "La logique consistant à faire passer l’accroissement de la productivité des ouvriers comme supplément d’une préoccupation pour leur bien-être est un trait commun de la plupart des études sur ce sujet." Donc C’est vraiment quelque chose qui est très affirmé dans d’autres chartes du même genre. On peut peut-être accélérer ici. On peut passer... Ça c’est Murray Schaeffer qui dit ça. Murray Schaeffer c’est celui qui invente la notion de paysage, du paysage sonore, qui est un théoricien du paysage sonore, qui est bien sûr très critique de la musaque. Et ce qui nous intéresse aussi, c’est que c’est une musique très paradoxale, puisque à la fois elle est faite pour être entendue, mais pas pour être écoutée. Ça c’est quelque chose qui est vraiment un caractère qui nous intéresse énormément. Donc voilà, bon ça on peut passer. Dans les années 80, Musak existe toujours mais vend principalement son produit pour des commerces. Donc toute la musique d’ambiance qu’on a dans les centres commerciaux ou dans plein de commerces, c’est souvent Musak ou d’autres entreprises du même genre qui la fournissent. C’est pas une musique de radio, enfin sauf bien sûr dans les tout petits commerces qui mettent la radio, mais tous les grands commerces achètent de la musique qui est faite spécialement pour ça. Et puis, aujourd’hui encore, l’entreprise Musak n’existe plus, mais elle a été rachetée par Mood Media. Et l’entreprise poursuit ses recherches sur les meilleures chansons pour réduire le stress ou inciter les clients à acheter quelque chose. Donc, il y a plus de détails, bien sûr, mais évidemment, la productivité au travail a été remplacée par la productivité du consommateur. Il faut rendre le consommateur qui consomme. Donc, la Musak sert à ça. Voilà, juste pour... Musiac, maintenant, c’est racheté par Mood Media, et le slogan de Mood Media, je crois que c’est sur la slide d’après, c’est "We put people in the mood to buy". Donc on met les gens dans l’esprit d’acheter. Encore une fois, que ça marche ou pas, que ce soit... Enfin, c’est pas du tout ça qui nous intéresse, mais c’est vraiment l’intention presque cybernétique qui nous intéresse. Et cette publicité, juste la slide d’avant, c’est une publicité pour Muzak. Alors je reviens en arrière dans le temps, ça c’est une publicité des années 30, qui montre l’effet escompté en tout cas des clients qui ont acheté à Muzak sur leurs employés, le sourire revient. Et ce qui est intéressant c’est que dans les années 70, on a quasiment exactement la même chose pour les plantes vertes. C’est à dire qu’en fait, il y a une étude tout à fait controversée, qui cherche à prouver que les plantes qui écoutent du rock’n’roll dépérissent alors que celles qui écoutent de la musique classique se portent extrêmement bien. Et ça c’est une étude très très très célèbre qui est faite donc... alors c’est pour ça que la partie suivante s’appelle "développement personnel pour plantes d’intérieur". On est toujours dans l’idéologie du bonheur mais cette fois-ci appliquée aux plantes vertes. Mais c’est la même. Alors on a dans les années 70 une sorte d’épidémie de disques qui cherchent à rendre les plantes heureuses. Il y a celui-ci par exemple, "Music for your plants". Et puis il y a tout cela. Ça c’est la collection personnelle de Stéphane ici présent. Il les a tous achetés et il en a fait un musée à part. En fait il me manque celui-ci, il me manque celui-là et celui-là. Si vous les trouvez quelque part, écrivez à Jean qui transmettra. Mais effectivement j’ai ce petit... Et celui-ci qui est un petit peu à part, c’est Stevie Wonder, qui n’est pas de la musique... Enfin, tout cela sont destinés à faire pousser vos plantes et à les rendre heureuses. Celui-ci c’est plutôt une musique de documentaire, mais bon, ce qui est vraiment dans l’esprit de l’époque aussi. Mais donc, en fait, cette étude de Dorothée Ritalak, qui vraiment, elle, à l’époque, fait un dispositif expérimental où elle diffuse de la musique à des plantes vertes, exactement comme Muzak diffusait de la musique dans les bureaux, et elle essaye de prouver que Ravi Shankar marche... Ravi Shankar, c’est ce qui marche le mieux apparemment. Sur moi ça marche bien aussi, sur les plantes ça marche, donc peut-être qu’il y a un fond scientifique. Et puis le rock’n’roll et notamment l’acide rock, c’est le pire de tout. On est en 1963, donc c’est la période... Donc voilà le livre de Dorothée Retalac. Puis après je crois qu’il y a une photo d’elle, qui est en fait une femme qui aussi est très religieuse, qui n’aime pas du tout le rock’n’roll, même avant de faire des études sur les plantes. Donc l’étude est bien sûr un tout petit peu biaisée, mais c’est pas forcément ça qui est intéressant. Ce qui est intéressant, c’est l’aspect cybernétique qu’il y a derrière, de chercher une musique qui agit sur le mental, sur les plantes. Ça, on va peut-être passer... Je vois que l’heure tourne dangereusement. Elle produit de très belles images. À l’époque, il y a aussi le livre "The Secret Life of Plants" qui mélange plein de références. Un autre personnage tout à fait intéressant dans ce paysage, c’est Cliff Baxter, qui est un employé de la CIA, un spécialiste des interrogatoires, qui utilisait le détecteur de mensonges, le polygraphe. Et en fait, un jour, il a eu l’idée de brancher un polygraphe sur une plante, et il s’est rendu compte que la plante réagissait à ses émotions à lui, comme s’ils étaient connectés. Encore une fois, bien sûr, des expériences tout à fait controversées, évidemment, mais ça montre bien l’esprit de l’époque, et l’esprit totalement cybernétique d’essayer de démontrer scientifiquement l’impact direct qui peut exister entre deux entités.

Gwenola Wagon Je pense qu’il est temps de passer à l’exercice bonheur numéro 2 parce que là c’est un peu... On part trop loin. L’exercice bonheur numéro 2 consiste à fermer les yeux. On a dit une minute à peu près. Fermer les yeux c’est très utile dans une période comme celle d’aujourd’hui. On n’a pas trouvé la bonne musique pour fermer les yeux, on s’est dit que le... Le silence était bien. Le silence était bien. On va faire une minute subjective. [Bruit de l’écran] Donc on ferme les yeux. [Bruit de l’écran] Et on écoute ce joli larsen. [Bruit de l’écran] Pour ouvrir les yeux. Merci de vous être prêté à l’exercice. Pour parler d’un projet qui nécessite d’ouvrir les yeux justement, qui s’appelle le blanchiment des images. Alors c’est un film et un texte qu’on a écrit sur les images de micro-stocks. Donc les images de micro-stocks, ça s’apparente à des banques d’images qu’on trouve en ligne et qu’on peut acheter moyennant une somme assez basse pour les utiliser pour la presse, pour n’importe quoi, à usage privé ou à usage médiatique. et qui sont des micro-stocks parce qu’elles sont en quelque sorte produites par tout le monde, c’est pas seulement des images de photographe, ça peut être des images de toute la planète, des gens qui mettent ces images en ligne, principalement quand même, majoritairement des photographes, mais souvent des photographes qui sont très très très mal rémunérés, puisque chaque image coûte rien, quasiment, ou très peu, Et donc il y a beaucoup de... en quelque sorte d’exploitation avec ce type de... voilà, d’auto-exploitation, parce que c’est de l’entrepreneuriat précaire. Et donc ces images, on les a analysées dans un film... – Le lien, sur... – Pardon. Dans un film qui se nomme "Images Washington". parce qu’en fait on a fait toute une étude sur la manière dont elles avaient des effets d’occultation, puisqu’elles sont telles... en fait avec le temps elles sont devenues de plus en plus utilisées avec le micro-stock. Auparavant ces images de stock étaient utilisées plutôt dans la presse, en fait, majoritairement, dans des contextes précis. Et puis de plus en plus, devenant de moins en moins chères, pour pallier au problème de droit, du droit à l’image, et puisqu’elle propose des abonnements assez lucratifs, assez peu chers finalement, les organismes, la télévision, des chaînes comme Arte, des réalisateurs, des boîtes de prod, et y compris des gens, limite cinéma d’auteur, s’abonnent à ces systèmes et utilisent ces images pour représenter tout ce qu’ils veulent. Et comme elles sont de plus en plus nombreuses, on peut à peu près tout représenter avec, enfin représenter des concepts, là par exemple, ce sont des images souvent concepts, et puis progressivement représenter des choses très particulières. Alors ce qui nous avait intéressé c’était que en dehors des clichés, parce que c’est beaucoup de clichés, qui sont évidemment qui se renforcent, puisque c’est comme un effet de réseau, chaque cliché se renforce sur ce système là, Elles ont tout une... Certains sujets, notamment la catastrophe climatique en particulier, la dégradation de l’environnement et les problèmes climatiques et les problèmes écologiques, sont difficiles à représenter dans les journaux, dans la presse, dans les films, et de plus en plus, elles sont utilisées dans cette optique-là, ou même pour l’intelligence artificielle, un sujet très dur à représenter par l’image, et notamment elles sont représentées pour parler de problèmes, y compris de "washing", c’est-à-dire de "greenwashing", alors qu’elles sont elles-mêmes issues d’une sorte de "greenwashing". Donc il y avait avec l’utilisation de ces images un problème qui nous semblait... qu’on analyse très longuement, mais là je raccourcis, mais le problème étant que on utilise ces images pour parler de nettoyer la planète, par exemple, comme ici, ou de laver la planète, ou de sauver la planète, ou de lutter dans telle lutte. Et on va utiliser des images comme celle-ci, qui finalement n’apportent rien, puisqu’elles renforcent elles-mêmes le problème, en quelque sorte. Pour nous, elles sont comme un engrenage qui tourne à vide. Et voire même, elles créent une fausse vision, puisqu’elles donnent l’impression aussi que la planète va être sauvée, par l’image. parce qu’elles sont esthétiques, parce qu’elles sont clean, parce qu’elles sont épurées, vidées, hygiéniques, neutralisées, toujours avec le fameux style international qu’on avait décrit dans l’aéroport international, qui donne un côté extrêmement lisse. Donc en fait, l’idée de cet article qu’on a écrit et du film qu’on a fait, c’était de de pointer le problème et d’essayer de faire une enquête sur ce système là et pourquoi on l’utilise, et pourquoi ça prend de plus en plus de place, et pourquoi finalement, de fil en aiguille, y compris des réalisateurs de documentaires comme Cyril Dion pour le film qu’il a sorti sur Arte il n’y a pas longtemps, utilise cette image, une image de stock en affiche où on voit une femme avec "Il n’y aura pas de planète B" et c’est une image de stock qui du coup va à l’envers de son message, et qui donc ne résout pas. Etc. Etc. Je ne sais pas si c’est tout. Et le film, là on a coupé le son pour pouvoir parler par dessus, le film qu’on a construit, comme vous le voyez, on a recherché des récurrences. Les images de stock, qu’on appelle aussi banque d’images, reposent énormément sur des récurrences, sur des archétypes, sur des images qui fonctionnent. Et donc c’est très facile d’en collectionner à l’infini et les aligner les unes derrière les autres. par exemple ici les panneaux "Save the planet" et c’est vrai que par rapport aux questions écologiques en particulier, ce qui est un peu la fin de l’article là où on fait plutôt la fin, on se rend compte qu’il y a une sorte de... comme s’il y avait une sorte de... voilà, une esthétique qui naît de ces images de stock qui est une esthétique extrêmement lisse, extrêmement positive, voilà, on va être sauvé, c’est le bonheur, donc on retrouve l’idée du bonheur dans l’idée que ces images tendent naturellement à effacer les problèmes Et par ailleurs, ce sont également des images, là on les voit relativement bien parce qu’on les a mises les unes à la suite des autres sur un même thème, mais ce sont des images qui ont tendance à disparaître parce qu’on les voit partout en fait, dans les magazines, dans les publicités, etc. Et ce sont des images qui reposent tellement sur les archétypes qu’on ne les voit plus finalement. Elles finissent par disparaître exactement comme... Alors tiens, on va peut-être mettre les manifestants... Exactement comme la musaque disparaît dans le fond sonore. c’est une musique qui n’est faite pour ne pas être écoutée mais entendue. Les images de stock sont également des images qui sont faites pas pour être regardées mais juste pour passer dans le regard. Ici on a collecté par exemple toutes les images où on a des personnes qui brandissent des panneaux, mais ces panneaux sont vides parce qu’en fait ils sont faits pour être remplis avec le message de la personne qui va acheter l’image. Donc on a des protestataires ou d’autres personnes, voilà, avec différents archétypes, stéréotypes et autres qui sont mobilisés pour des causes qui n’existent pas, mais qui vont être créées par les personnes qui vont acheter les images. Ça c’est une pratique extrêmement courante sur les banques d’images, simplement parce que les images sont vides, et on voit souvent le fond vert aussi qui permet d’incruster ces personnes, je crois dans une manifestation x ou y, et que voilà, elles vont être rachetées et ce sont des personnes qui sont souvent des... Enfin, contrairement aux modèles qu’on utilise dans d’autres types de photographies, ce sont modèles qui sont monsieur et madame tout le monde, qu’on ne va pas forcément repérer autrement que par le stéréotype qu’ils incarnent. Ce qui est intéressant aussi par rapport à la MUSAC, c’est que ça agit sur l’inconscient et que c’est vraiment des images de subconscient, comme la musique d’ascenseur dont parlait Stéphane tout à l’heure avec l’inventeur de la MUSAC. C’est vraiment des images qui sollicitent un arrière-fond du cerveau et qui font qu’on les voit pas mais en fait on les voit quand même. Comme la musique d’ascenseur, la musaque, on ne l’entend pas mais on l’entend quand même. Et donc, elles ont, il y a une sorte de lavage intérieur qui fait qu’elles agissent indirectement. Mais pas un lavage dans le sens "on va vous laver le cerveau pour vous faire croire quelque chose", plutôt un lavage dans le sens où ça va juste nettoyer, faire du lisse et vider, d’une certaine manière, vider la possibilité de réfléchir. Enfin, on exagère un tout petit peu, mais ça a un petit peu ce but comme ça de d’effacement du propos. C’était aussi ce qui nous avait interpellé, en fait, quand on a travaillé sur les images de micro-stock, de type shutterstock, c’était la difficulté de trouver des enquêtes là-dessus, puisqu’on voulait vraiment faire une enquête, pourquoi ça marche aussi bien finalement, pourquoi tout le monde achète ces images, alors qu’on pourrait faire des images nous-mêmes ou en commander à d’autres et puis ça fait disparaître aussi les photographes, etc. C’est une question de disparition de métier qui est problématique. Et dans cette interrogation, l’absence de critique sur ce système là nous a beaucoup gênés, puisqu’on se disait dans la critique qu’il faut aussi englober la représentation visuelle, et la représentation visuelle de ces journaux, de ces médias, de ces quantités de personnes qui les achètent, elle n’est pas anodine. Il faut quand même aussi s’intéresser à ça. Et donc là, on va dans ces séries, c’est comme l’aéroport, on va dans les endroits qui finalement sont... ça paraît banal en fait. Ça paraît anodin, ça paraît banal, mais pour nous ça l’est pas parce que justement, c’est tellement présent en fait, en fait il y en a partout, mais c’est tellement présent qu’on ne les voit plus. Et donc c’est là où notre enquête... Enfin, c’est là où on se sent interrogé. Juste la séquence qui passe là, donc qui fait suite à celle avec les panneaux vides. Là ce sont des panneaux avec des messages, mais qui sont des messages complètement désincarnés, des messages qui peuvent avoir un sens dans d’autres contextes, qui ici sont juste portés par des acteurs qui bien sûr sont des acteurs, qui sont faits pour illustrer les situations. Donc un effet de désincarnation par l’image qui nous semblait assez important. Merci à tous ! Merci.

Gwenola Wagon Et bien c’est le temps de l’exercice de coaching bonheur numéro 3, qu’on a bien mérité.

Stéphane Degoutin Donc, flotter sur un nuage. Petite hypnose. J’espère que vous êtes prêts. Donc nous allons écouter Louis Yagira, qui va vous faire flotter sur un nuage. Merci de laisser un commentaire si vous appréciez cette méditation.

Extrait sonore Je suis Louis Aguera. A présent, installez-vous confortablement. Choisissez un point dans votre environnement sur lequel poser votre attention. Concentrez-vous sur ce point de manière légère et détendue. Une fois que c’est fait, prenez une longue et profonde inspiration. Retenez l’air, retenez l’air, retenez l’air et exhalez doucement. Gardez votre attention sur ce point dans votre environnement et prenez une nouvelle fois une longue et profonde inspiration. Retenez l’air, retenez l’air, retenez l’air, et exhalez doucement. Et à présent, une troisième inspiration. Gardez toujours votre attention sur ce point dans votre environnement. Prenez une longue et profonde inspiration. Retenez l’air, retenez l’air, retenez l’air et exhalez doucement. Et à présent, fermez les yeux. Posez votre attention à l’intérieur de votre être. Permettez-vous de vous détendre encore un peu plus. Détendez les lèvres autour de vos yeux.

Gwenola Wagon Désolée d’interrompre l’exercice numéro 3.

Stéphane Degoutin Vous pouvez noter le nom "Louis de la Guira" si vous voulez la suite.

Gwenola Wagon Le temps, malheureusement...

Stéphane Degoutin La suite, la suite, la suite... Et j’espère que vous avez quand même un peu flotté sur un nuage.

Extrait sonore Bienvenue dans votre monde.

Stéphane Degoutin C’est pas ça qu’on veut, voilà. Escape. C’était pour introduire bien sûr au projet suivant "Atlas du nuage".

Gwenola Wagon Alors l’Atlas du nuage c’est un projet qui fait suite à une sorte de petite commande d’abord de texte. avec des commissaires canadiens qui nous ont demandé de faire une intervention sur l’écologie d’Internet, enfin les problèmes écologiques et Internet. Et on a eu l’idée de leur faire un atlas en partant de l’acte d’achat sur Internet, l’acte du clic de la souris pour acheter n’importe quoi, un film, un objet, tout ce que vous voulez, et de suivre toutes les étapes de ce processus jusqu’à son arrivée, jusqu’à ce que même on s’en sépare par exemple, ou que le produit ait une autre vie. Et chaque étape, donc c’est des étapes plus ou moins grandes souvent les produits bien sûr, mais là on a pris toutes les étapes possibles en les enrichissant. Chaque étape donne lieu à une planche visuelle, donc ça va du clic de la souris, à la box internet qu’il faut pour appliquer à souris, le réseau, les antennes, les antennes relais, les câbles qu’on a un petit peu vu tout à l’heure, les câbles sous-marins, les data centers, en imaginant que là on arrive au data center, que le hangar, tout ce qui va avec l’infrastructure du data center, et jusqu’à la commande du colis, donc le colis qui va être pris, prélevé par un pickers dans un entrepôt où il fait le ou qui a fait l’objet d’un acte de production, jusqu’à la livraison rapide, bien sûr, et la réception du colis, le fait de surveiller sa maison avec son colis, la livraison plus ou moins variée, parce que ça peut être en vélo, en voiture, etc. Les colis qui s’accumulent, la vision différente, parce qu’il y a des visions publicitaires ou des visions du client, le colis qui est toujours trop grand par rapport à l’objet, l’accident, forcément, parce que ça va très vite, Donc il y a plus d’accidents par la vitesse de la livraison ultra rapide et aussi des accidents d’avion. Les Black Friday avec la... non pardon, la sigolomanie, excusez-moi, avec l’entassement... – Ça c’est pas la sigolomanie, c’est la... – Ah oui ? – Je fais une petite pause, excusez-moi. Sur cette slide, ça c’est des gens qui utilisent la méthode Marie Kondo pour trier leurs affaires. Donc c’est des piles de vêtements. – Oui parce que si on achète, il faut faire les triches. – Si on achète, il faut les triches. Et donc après les objets qui s’accumulent, donc le moment où ça s’accumule, y compris en référence à la boulimie d’achat, donc boulimie d’achat qui peut faire penser aussi à la quantité excessive d’objets souvent inutiles ou... ou... voilà, il n’y a pas de mot. Et aussi aux objets qu’on ne peut pas forcément... enfin, qui arrivent en... qui... voilà. Et les... et les... et qu’est-ce qu’on fait de tous ces cartons après ? Bah on les jette. Et qu’est-ce qu’on fait de tous ces objets qu’on a donc... Là ce sont des montagnes entières de vélos en free floating abandonnés en Chine. Voilà parce qu’on ne peut pas les recycler en Europe donc on les envoie en Europe. Des vraies dizaines de milliers de vélos. Et ensuite on a tous ces objets qui s’accumulent, qu’il faut jeter parce qu’ils sont évidemment un peu vite obsolescents. La pollution électronique. Et qui créent une énorme pollution électronique de manière évidemment exponentielle. jusque sur les plages, et en parallèle, donc il y a des petits appartements, la pollution urbaine, avec la question de la suburbia, le lotissement, la ville qui s’étale, le télétravail et le call center, en tout cas le thème du télétravail, donc la réunion Zoom, la rencontre en ligne, Tinder, Tinder c’est à dire l’être humain qui a un produit accessible comme un autre. Et le camécran, camgirl dont on parlait avec le livre de Jean tout à l’heure, et la révolte des Uber... Différentes révoltes contre différentes plateformes. Amazon... Des fausses révoltes. Enfin des vraies avant et des fausses après. C’est un atlas, il y a tous deux noms, le vrai et le faux. La fausse révolte. La fausse solidarité. Le faux nettoyage de toit. Le faux volontariat. La fausse planète. Et le faux nuage. L’atlas a été montré dans différents lieux, mais souvent il s’étale dans des espaces, donc on peut naviguer, l’idée c’est souvent de faire une promenade à l’intérieur, et de flâner dans ces images en les regardant un petit peu comme on veut, dans n’importe quel ordre.

Stéphane Degoutin Et c’est alors l’idée de flotter sur un nuage, ça c’était le lien donc avec la méditation guidée qu’on a vu avant. L’idée de flotter sur le nuage c’est évidemment l’idée que la Silicon Valley essaye de faire croire, de faire passer pour la réalité. on essaie d’imaginer qu’on flotte sur ce nuage, que les choses nous arrivent, c’est un peu le texte qu’on a écrit à gauche, que de ce nuage tombe comme par magie des produits, des personnes, des services, et que tout ça arrive d’un clic ou même d’un effleurement d’écran sans qu’on ait le moindre effort à faire. Donc là, ce qu’on voulait faire dans l’Atlas du nuage, très clairement, c’est montrer toute la matérialité et la lourdeur de ce qui se passe par derrière.

Gwenola Wagon Donc on va faire en très peu de temps les deux derniers projets qu’on avait prévus, mais ça va être très très rapide. Donc pour finir sur le bonheur, en fait le bonheur on en a beaucoup... Enfin on l’a abordé à travers un film qui s’appelle "Erevan" et dans ce film on postulait une sorte de société qui était en quelque sorte débarrassée des tâches pénibles. C’était en référence à un livre de Samuel Butler qui s’appelle "Erewhon", l’anagramme de "Dower" en anglais. Et dans ce film est abordé un petit peu tous les chapitres de la vie d’une ville imaginaire, Erewhon et ses habitants, les Erewhoniens et les Erewhoniennes, en passant par les machines qui produisent à leur place, la surveillance et les habitants eux-mêmes qui étaient censés être toujours heureux, être parfaitement heureux à l’intérieur de ce système, de cette vie, le système. Une voix offre à compter à travers un narrateur, en quelque sorte Samuel Butler, l’écrivain de science-fiction du 19e siècle, revenu d’entre les morts, qui découvrirait tout ça à travers YouTube, comment vivraient ces gens aujourd’hui dans cette espèce de divertissement général où ils n’auraient plus qu’à se divertir. Donc il y avait un peu cette... voilà, j’en montre juste un tout petit peu...

Extrait de film [Vidéo] ...était considéré en Erewhon comme immoral et criminel. La principale activité des héréoniens consistait à se prémunir contre la mauvaise humeur. Les machines, s’occupant de toutes les tâches de gestion et de production, les habitants n’avaient plus besoin de travailler. Ils continuaient néanmoins, par habitude, à se rendre dans les lieux anciennement destinés au travail. La néothénie est une caractéristique de certaines espèces, telles que l’homme, les animaux domestiques ou l’axolote, qui conserve des caractéristiques juvéniles bien plus tard que la moyenne des animaux. presseur élevée [Musique] La succession d’activités ludiques, qui caractérise la vie de bureau en Erewhon, favorise heureusement l’allongement de la période infantile de l’homme. Nés au monde prématurément, ils continuent de jouer et d’apprendre durant une grande partie de leur vie. Les savants admettent que cette longue période néoténique est nécessaire au développement d’une culture complexe. Musique

Gwenola Wagon C’est un film en 12 chapitres... euh, 11.

Stéphane Degoutin Et toutes ces images sont tirées de vrais exercices en entreprise pour maintenir le bonheur des employés.

Gwenola Wagon Plusieurs styles d’images... Il y a le bonheur pour se tenir dans un moment difficile, qui est parfois provoqué par... Il y a plein de bonheurs en même temps, mais c’est effectivement le thème de ces cérémonies. L’idée de ce film était là-dessus, en quelque sorte des bienheureux. Il a été réalisé avec Pierre Casunogues, qui est philosophe, et qui vient de publier un livre récemment qui s’appelle "La bienveillance des machines", assez proche de ce thème. Et donc, pour finir... Alors, je suis en train de... Je suis perdue sur le... Oui, pour finir, on parlait de rire, mais je voulais retrouver le diaporama, mais c’est pas grave, je l’ai perdu. Ah oui, j’ai fermé. Hop. C’est pas grave. En fait, on voulait faire une séance de rire collectif, mais en référence aussi à un film qui s’appelle Virusland, où le film parle de la pandémie et finit sur les clubs du rire qui se retrouvaient en ligne parce que à ce moment là on pouvait pas se retrouver donc les clubs de rire qui existaient en vrai se retrouvaient en ligne et riaient en ligne et du coup le film Virusland finit là dessus et donc voilà mais mais non mais en fait je pense que c’est mieux de finir sur l’exercice 4 parce que là comme on n’a pas trop le temps de le voir Comme ça, ça peut être le dernier truc.

Stéphane Degoutin 6-4

Extrait de film Bonjour, je suis Linda Leclerc, fondatrice de l’école du yoga du rire et du Ha Ha Sisterhood, une communauté de femmes qui rient intentionnellement. Aujourd’hui, je viens partager avec vous trois exercices faciles de yoga du rire. Pourquoi rire ? Parce que ça fouette notre énergie, ça vient booster notre système immunitaire et ça va changer notre état d’esprit. C’est tout simple. Ce qu’on va faire, c’est qu’on va appliquer des exercices. On va rire comme si on trouvait ça drôle. Parce que peu importe que je ris pour vrai ou que je fasse comme si, mon corps ne fera pas la différence. On va par contre sentir une différence dans notre esprit. La première chose que je vous suggère de faire, c’est de sourire. De tenir un sourire qui va être peut-être un peu exagéré, mais de le tenir pendant une minute. Jusqu’à temps que vous sentiez que votre corps va se détendre un peu. Ça ressemblerait à quelque chose comme ça. Très large. Je ne vois pas beaucoup de gens qui le font. Vous allez sentir en vous que ça va changer quelque chose. Le deuxième exercice qu’on va faire ensemble, c’est le rire du téléphone cellulaire. En fait, c’est un exercice qu’on fait, on imagine qu’on a un téléphone dans la main et qu’il y a quelqu’un qui nous raconte quelque chose de très, très drôle. (Rires) C’est clair.

Gwenola Wagon Je l’arrête, c’est fini du coup. Merci.

Stéphane Degoutin Merci.

(Applaudissements)

Public Donc en écoutant tout ce que vous avez raconté, il me venait plein d’idées à l’esprit. L’une d’entre elles c’est que ça me mettait souvent dans des états de perception un peu bizarres. J’avais l’impression quand même de voir apparaître des choses effectivement très familières et qui... qui sont un peu différemment visibles en fait, tout simplement quoi. Et l’autre remarque que je me faisais, c’est que c’était énorme le matériel que vous mobilisez, que vous amenez là, et qu’on a l’impression que votre travail ça consiste juste à explorer les archives, les remontrer, les remonter, les rendre accessibles largement. mais en même temps, c’est des archives. Moi, j’avais l’impression d’avoir déjà vu tout ça. Ce n’est pas une question.

Gwenola Wagon - Alors là, c’est vrai qu’on a fait une sélection parce qu’on a d’autres types de pièces où c’est plus cultural, où on construit des choses, ou récemment, on a fait une pièce où on a construit une maison, par exemple. Donc, le choix s’est porté un peu plus sur la question des systèmes obscurs. Donc on n’a pas été trop dans les pièces qui sont... Oui, on aurait pu montrer celle-là, mais il fallait un peu plus de temps pour... On ne peut pas tout voir en une heure. Mais souvent dans les pièces, il y a souvent l’idée de faire des rituels aussi pour un petit peu dé-exorciser ces situations difficiles, enfin en tout cas, ou des choses qu’on pointe qui peuvent être un peu abruptes et parfois un peu qui pourrait être vu sur l’ordre du drame. On pourrait dire "oui c’est dramatique". Et en même temps il s’agit aussi de faire un peu un travail d’exorcisme. Et donc par exemple pour ce projet là on a construit une maison pour parler d’un problème des sonnet ring d’Amazon qui sont sur la vidéosurveillance et qui fliquent littéralement les américains qui achètent ça en balançant tout à la police. et de manière acceptée, vraiment, il n’y a pas de doute là-dessus, puisque c’est un partenariat volontaire, donc voilà. Mais la manière dont ça s’est passé a été assez opaque, très opaque, donc c’était un peu ça l’idée d’aller déso-pacifier ce système. Et en même temps, il y a cette construction de maison qui s’est faite, et on voit le film à l’intérieur de la maison, donc il y a aussi un rituel de rentrer dans la maison, de regarder le film, de sortir, de voir la sonnette et qui font aussi partie du projet et qu’on a souvent dans chaque pièce. Par exemple, d’autres pièces procèdent comme ça, on construit des parfois des rochers ou des montagnes ou des forêts. Enfin voilà, il y a tout un travail aussi d’opération qui n’est pas seulement de collecter des images. Enfin voilà, qui vise aussi à mettre en scène, à mettre de la distance aussi et à laisser aussi de la possibilité de réflexion et aussi que les personnes peuvent aussi être libres de porter le jugement qu’elles veulent, de ne pas leur coller un jugement, de ne pas leur dire "c’est bien, c’est mal, tu dois penser comme ça", donc de trouver des systèmes qui laissent une grande liberté aux spectateurs. C’est comme ça que je... je sais pas si Stéphane... Oui, non, sûrement, mais c’est vrai qu’il y a effectivement une grande partie de notre travail, c’est de collecter des images sur internet et d’aller au fin fond des réseaux pour trouver un maximum de choses sur des sujets et de faire une enquête vraiment que n’importe qui peut faire avec un ordinateur et une connexion internet simplement en accumulant du temps et du temps de recherche. C’est pour ça aussi qu’il y a un sentiment de familiarité avec ces images, ça correspond à des choses qu’on connaît, enfin bon là en l’occurrence sur les techniques de coaching bonheur, bien sûr c’est des choses très connues. Là, les quatre exercices qu’on a montré, le temps de recherche pour ces vidéos, c’est à peu près deux secondes parce que c’était vraiment les premiers, c’est les plus archétypaux. Ce qui n’est pas du tout le cas dans d’autres projets où on a des recherches très longues. Là, on a vraiment été dans l’archétype total. Des exercices extrêmement classiques, extrêmement banals. Et à la fois, les vidéos qu’on trouvait étaient très bien, elles étaient très représentatives du genre. Voilà, c’était juste une petite parenthèse. Mais oui, ce travail de recherche de vidéos est hyper important. Peut-être il y avait aussi, on n’en a pas trop parlé, mais il y a tout un projet sur... Enfin aussi pourquoi le bonheur, enfin pourquoi en fait le sous-titre de la conférence aurait pu être "Pourquoi est-on heureux alors qu’on nous dit tous les jours que le monde est en ruine, que c’est la catastrophe, qu’il y a des problèmes écologiques très graves ?" Comment on tient ce bonheur et comment ce bonheur est-il encore possible ? Et comment ce type d’image, comme les images de stock qu’on a vues dans le blanchiment des images, peuvent-elles encore nous faire croire à ça ? Comment ce système-là tient ? Et cette espèce de discrépance, enfin ce contraste entre l’injonction du bonheur et d’un autre côté des choses assez quand même difficiles à l’opposé de ce bonheur qui crée pour nous un clivage et d’où l’envie de faire ces enquêtes sur les systèmes obscurs et aussi sur les systèmes du bien-être. Le mot bonheur pourrait être associée là du coup au bien-être, au wellness, à la wellness et à la psychologie positive. On n’en a pas trop parlé mais il y avait au tweet une enquête sur Émile Coué, la psychologie positive et l’injonction à l’autosuggestion. Se sentir bien parce que on s’oblige à se sentir bien. Donc il y avait aussi ce fait là. Mais dans les... enfin en tout cas ça me fait penser aussi à quelque chose qu’on n’a pas montré mais qu’on aurait pu montrer, il y a toute un... une invitation là qui s’est faite en janvier sur un projet sur le bien-être où j’ai fait une histoire de la frite de piscine et dans l’histoire de la frite de piscine il s’agissait de de raconter l’invention de la frite de piscine, la manière un petit peu dont on a fait ces petites stories, et de faire vivre à ceux qui étaient là un vrai coaching de frites de piscine avec les frites et tout, avec un exercice collectif à tout le groupe en parlant des différentes théories sur le bien-être, le positivisme, la psychologie positive et et tout ce qui s’était opéré comme la manière dont la théorie du bien-être est un peu liée aussi à après-guerre, aux trente gorieuses et à la création des objets bon marché en plastique en grande quantité. Donc frites de piscine c’est l’objet en plastique par excellence etc. Et donc la conférence reliait les deux et raconter aussi comment et pourquoi on pouvait continuer à faire ces exercices dans ce contexte là.

Public Si j’ai perçu l’articulation entre les deux parties, l’ensemble des vidéos et des grands espaces de bâtiments qui sont construits dans le monde entier, et la seconde partie sur les images et le bonheur, c’est que les premières installations permettent les secondes. On voit de longs couloirs, mais derrière, il n’y a peut-être pas tellement d’êtres humains, mais il y en a qui les activent. Et alors, est-ce que ça s’applique à eux ? Et la deuxième remarque que je veux faire, c’est par rapport aux luttes qu’il y a en ce moment. Là, moi j’ai l’impression que c’est une portion de société, un fragment de société qui est dans la bureautique et qui est dans la bureau, dans les bureaux, mais ce n’est pas la totalité des êtres humains et des travailleurs. Par exemple, est-ce que, et c’est sans discrimination, les éboueurs, les personnels qui travaillent dans les abattoirs, les marins pêcheurs, ça donne à ce genre d’entraînement au bonheur et des exercices qui sont pratiqués.

Stéphane Degoutin C’est une question intéressante. Pour la première remarque ou question, En fait, il y a une opposition qui nous intéresse énormément dans l’idéologie du bonheur. C’est une idéologie qui centre vraiment sur l’individu. C’est à dire, grosso modo, c’est moi, mon bonheur, comment je peux accéder à un bonheur, etc. Et qui d’une certaine manière, enfin là, je suis beaucoup ce que dit Eva-Elou sur la question, qui éloigne énormément du collectif. Et ce qui nous intéressait, c’est justement de mettre en opposition des super structures, alors là, techniques, très très mondiales, collectives, etc. et puis une idéologie qui elle est vraiment centrée sur l’individu et qui du coup oublie le collectif, mais aussi, enfin collectif au sens différents êtres humains, mais aussi collectif au sens de superstructures qui concernent beaucoup de monde. Et par rapport à la deuxième question, alors là encore une fois je vais renvoyer à Eva Illouz qui a écrit ce livre à Picraty qui est vraiment extrêmement intéressant sur le sujet, et qui elle est sociologue, et qui apparemment dit que cette idéologie du bonheur est extrêmement présente non seulement, alors là c’est pas en termes de catégories sociales mais en termes plutôt de en termes de pays et extrêmement présente dans les pays entre guillemets développés mais mais de plus en plus et en énorme proportion dans des pays qu’on appelait anciennement en voie de développement notamment en Inde ou en Afrique etc et c’est alors en Inde c’est complètement fou c’est à dire que quand on fait des recherches sur internet quasiment tout ce qui sort et vient d’inde d’afrique et des états unis et c’est des pays qui on s’attendrait pas on imaginerait que c’était une... effectivement on s’imagine que c’est une idéologie principalement anglo-saxonne, états-unienne et en fait non c’est complètement mondial par exemple. En termes de catégorie sociale je saurais pas vous répondre. J’ai l’impression que ça imprègne un peu toute la société peut-être plus effectivement voilà mais mais en termes de pays en tout cas c’est frappant.

Gwenola Wagon Le bonheur c’est un mot qui est un peu risqué parce qu’on peut dire bien-être c’est peut-être plus juste. Enfin l’idéologie du bien-être je dirais mais par rapport à l’Inde, les vidéos d’Erevan racontent un peu toutes les parties de la société, donc ça va de l’agriculture en passant par les loisirs, etc. Et donc on trouvait beaucoup de vidéos d’Indiens ou en tout cas dans ces fameux grands call centers, donc c’était pas mal de vidéos de call center où ils sont assez ennuyeux, c’est réverbatif, donc le jeu, le ludique venait troubler, enfin venait un petit peu pour tenir aussi dans une tâche réverbative quoi. Evidemment ça concerne la bureautique mais ça concerne aussi tous les bullshit jobs dont parle David Graeber et les bullshit jobs c’est partout quoi, c’est l’administration, c’est la paperasse, c’est les papiers, c’est des trucs qu’on a tous. Moi je suis prof par exemple et j’ai beaucoup beaucoup d’administration. C’est aussi ce qu’on pourrait dire pénible quoi. Et donc ces trucs pénibles ils viennent aussi créer des espèces de folies, des moments un peu de folie où on a un petit peu envie de péter un plomb parce que c’est pénible. Et donc dans le film Erreone, on jouait un peu là dessus sur le, entre guillemets, la folie qu’on peut avoir dans un univers rébarbatif et où la folie peut-être devient saine aussi pour sortir d’une tâche pénible. Donc il faut voir ce côté bonheur bien-être qu’on a montré des deux côtés qui peuvent être à la fois une injonction productiviste comme on le voyait au début, mais ça peut être aussi une survie dans un moment où où c’est très rébarbatif et très ennuyeux. Et là, c’est un mode de survie. Mais ce n’est pas du tout les mêmes ressorts des deux côtés. Et là, on a un peu montré les deux faces. Excusez-moi, je vais peut-être...

Public Je risque de la continuer, mais c’est dans un monde ultra-libéraliste où il y a une recherche de la productivité de l’individu qui est poussée à bout. et c’est le même système qui trouve des dérivatifs pour que l’individu survive mais à aucun moment il n’y a de dimension collective. Ce sont les êtres humains isolés.

Gwenola Wagon Oui c’est tout à fait ça le problème en fait, c’était ça qu’on avait voulu montrer avec Erevan, c’était la manière dont ces systèmes-là avaient créé presque ces folies en fait. Nous on l’a un peu vu du côté de la folie et notamment on l’avait aussi montré dans l’aéroport, parce que l’aéroport c’était ça qui nous avait le plus marqué. C’était l’individu qui pète un câble dans la file d’attente, ça c’est vraiment l’individu isolé, celui qui a tout d’un coup envie de tout balancer, tout casser parce que c’est insupportable, il n’en peut plus. Et donc là on est dans un isolement et souvent il se montre en spectacle, il y a un côté les exhibitionnistes, tout le monde le filme avec son téléphone portable, etc. Donc ça c’est vraiment, évidemment, la perversité du...

Public – Il y a une fabrique d’accumulation dans ce que vous fabriquez, qui permet à un moment de re-réaliser la déréalisation qui se fait par ces images. Donc là, on prend de la distance par rapport à ça. Où est le seuil de saturation des gens qui n’ont pas cette possibilité de percevoir cet effet accumulatif ? Et à partir de quand ça va péter ?

Stéphane Degoutin Ça c’est une bonne question. Ça c’est peut-être le problème en fait. Comment, oui, à partir de quand ça va péter ? C’est une question que je me pose en permanence. Justement dans l’aéroport par exemple, à chaque fois je me dis mais comment ça peut tenir ce système ? Et même dans l’agriculture, parce qu’il y a une partie sur l’agriculture automatisée avec les machines, rien qu’à regarder les images qu’on trouvait, souvent c’était des pubs en plus. C’était même pas des images militantes qui dénonçaient, c’était des publicités des fabricants des machines à l’adresse de ceux qui allaient les acheter. Donc des machines agricoles, de production intensive. Et rien que ça, c’est sidérant. Et c’est ce point-là effectivement qui est... C’est vraiment ce point-là, c’est très juste. Merci pour la question, parce que c’est vraiment le point où justement en tant qu’artiste on se dit "ah tiens là, on a des outils" parce que c’est une question plastique, c’est une question esthétique, dans la musique ou dans les images de stock, ou autre, c’est une question où en tant qu’artiste on a des outils pour comprendre un peu ce qui se passe et on essaye modestement à notre échelle de, effectivement, alors, re-réaliser la déréalisation, la formule est très belle, je ne sais pas si ça fonctionne, mais en Il y a quelque chose qui est invisible, qui est fait pour être invisible, qui est fait pour être un bain dans lequel on nage sans s’en apercevoir. Et comment le rendre visible, ça c’est une vraie question compliquée parce que... Alors comment le rendre visible, ça c’est une question pour nous et puis effectivement la question que vous posez pour le commun des mortels qui baigne dedans, c’est une autre question là qui est encore plus compliquée sans doute et à laquelle on n’a peut-être pas la réponse. Donc je ne vais pas répondre à votre question, mais merci pour la question.

Public La réponse sera collective.

Stéphane Degoutin Certainement, oui.

Public Mais je pense que chacun va le chercher. C’est une quête de soutien, mais qu’est-ce qui pourrait déclencher le mouvement ?

Stéphane Degoutin Oui, et puis il y a ce côté extrêmement insidieux de voir... Effectivement, on baigne dans quelque chose, et puis on le voit pas, on le voit à la fois. C’est pas non plus invisible, c’est vraiment la stratégie de l’offuscation. C’est là, c’est en pleine vue, et néanmoins, on le voit pas.

Gwenola Wagon Je sais que, en tout cas, moi, j’avais vu le film Notre Pain Quotidien. Je ne sais pas si vous l’avez vu. Et je sais qu’après ce film, j’ai changé tout, tout, tout. Enfin, je veux dire, à un moment donné, ça m’a fait un point de bascule. Le film a provoqué chez moi l’impossibilité d’aller dans un... Pendant longtemps, d’aller dans un supermarché au rayon frais, voir les trucs sous plastique. Je ne pouvais pas. En fait, c’était horrible. Et donc, c’était un peu ça. Je pense que c’est aussi certainement... Moi, c’est souvent des films qui m’ont fait bouger personnellement. Donc, il y a un peu l’idée de continuer ça, même si c’est une micro goutte, bien conscient d’être tout petit. Mais il y a aussi cette envie de faire des films par rapport à ça, dans le sens où c’est aussi redonner peut-être la force que moi, j’ai quand même reçu d’autres, de la part d’autres cinéastes.

Public Moi, je voulais juste poser une question par rapport à cet slogan qui est apparu au début de la Révolution française. Le bonheur est une idée neuve en Europe. Qu’est ce que vous en dites vous par rapport à ça ?

Stéphane Degoutin Ce serait drôle, mais c’est drôle parce qu’effectivement, quand on travaille sur le bonheur, il y a ce moment qui m’est revenu en tête et effectivement, il y a du chemin qui a coulé depuis. Mais si vous posez la question, c’est sûrement que vous avez.

Public Non, non, je n’ai pas. Je n’ai que des questions. La seule question que je me pose par rapport à votre travail qui est passionnant, qui m’étonne, c’est vous qui m’étonnez ou deux parce que vous êtes des archéologues, enfin vous êtes des archivistes des archives, ce qui est passionnant, cette mise en abîme de l’archive par l’archive, c’est-à-dire que vous reconstituez des archives, là où il y a déjà des archives, des nids d’archives, modernes, très modernes justement, et l’idée neuve du bonheur étant une idée justement très moderne, et là vous êtes en plein là-dessus, vous travaillez dans un bain comme ça, ça fait penser à plein de de films, effectivement. Ça va de Matrix à Baudrillard, etc. Mais c’est là où j’en suis, moi, simplement. Je n’ai pas d’explication, j’ai juste des questions. Je me pose des questions, c’est tout.

Stéphane Degoutin En fait, je vous renvoyais lâchement la balle.

Public J’ai bien vu.

Stéphane Degoutin Justement, j’y pensais il n’y a pas longtemps et j’étais en train d’essayer d’articuler des choses dans ma tête qui ne sont pas tout à fait assez mûres pour être prononcées en public. Mais c’est effectivement une question qui... Parce qu’on est quand même au 18e siècle, le bonheur est une idée neuve, c’est aussi qu’on est quelque part pas loin de la période romantique, etc. Et qu’il y a quelque chose qui a émergé à l’époque et qui aujourd’hui, on le regarde peut-être avec un regard très différent, deux siècles et demi après.

Gwenola Wagon C’est pas le même bonheur, mais c’est quand même dans le bain de l’époque.

Stéphane Degoutin et tu veux dire le bonheur d’aujourd’hui ?

Gwenola Wagon Le bonheur dont on utilisait le terme qui pour moi renvoie plus au bien-être qu’au bonheur et à la wellness. Le terme américain me semble encore mieux, wellness. Et plutôt lié au confort d’ailleurs, c’est une critique du confort aussi, parce que la critique de l’Amazon qu’on a fait de projet en projet, surtout on a fait une critique d’Amazon sur tous nos projets quasiment, quasiment. Donc c’est un peu le cheval de bataille. Mais c’est vraiment la critique du confort ou de la chose clé en main qui arrive à l’instant T comme par magie chez soi dans lequel on n’a aucune idée de ce qui s’est passé derrière le colis qui est là derrière de votre porte. Tout a disparu. Et derrière il s’est passé des cargos, des tonnes de production de plastique, de machins, de gens exploités. tout ça c’est hop disparu et donc c’est cette amnésie de ce système là fabriqué aussi sciemment par son entre guillemets créateur Jeff Bezos qui a été un peu aussi à l’origine de pas mal de projets et notamment lui, c’est la société du confort, c’est Homo Comfort de Stefano Bonni, Enfin, beaucoup de théoriciens ont écrit là-dessus, mais c’est vraiment dans cette perspective-là où il y a tout d’un coup ces matériaux bon marché, ces plastiques qui émergent après-guerre, dont on ne sait plus quoi faire, et qui transforment le monde en fait, et transforment même l’idée du recyclage qui n’est plus du recyclage vraiment, le cycle de vie qui est perturbé par tous ces toxiques, et qui amène à une sorte de moment complètement ubuesque, enfin moi que je vois complètement ubuesque, et dont on essaye de dépeindre des petites parcelles, et donc il y a toujours cette idée aussi de comprendre, certainement c’est ça aussi, comprendre ce qui se passe, et même revenir en arrière à chaque fois, peut-être de plus en plus loin, pour avoir ces espèces de perspectives historiques, C’est un peu comme ça qu’on...

Stéphane Degoutin Peut-être que... alors je risque une réponse, mais vraiment c’est complètement... sans filet, sans filet... Mais peut-être que c’est un peu comme le bonheur, c’est peut-être un peu comme le plastique, c’est-à-dire que le plastique au départ c’est quand même une solution miracle, ça sert à tout, c’est génial, etc. Et puis à un moment donné on se dit "mais c’est n’importe quoi, ça génère une pollution, pas possible". Enfin, on se rend compte du coût écologique, etc. Et le bonheur peut-être qu’il y a un schéma qui est un peu similaire où à un moment donné on se dit "ah oui on découvre le bonheur qui est quelque chose qu’on peut enfin saisir" et puis qu’aujourd’hui on se rend compte que derrière ce mot bonheur, évidemment pas forcément la chose bonheur, mais derrière le mot et l’idéologie qui va avec, effectivement c’est une idéologie qui correspond très bien à l’ultralibéralisme, au recentrement sur l’individu et que tout d’un coup ça devient un peu comme un plastique gênant, un sac plastique dont on ne sait plus quoi faire et on ne sait plus dans quelle poubelle de tri le mettre, puis à la fin on veut quand même le garder parce qu’il était assez pratique et donc ça devient un petit peu un objet embarrassant, un peu comme l’aéroport international, la voiture, la télévision, etc. etc. etc. la climatisation, enfin voilà, tous les objets gênants du 20e siècle, du 19e siècle ou du 18e siècle, je sais pas, je tente ça en direct.

Public – Une petite question, j’ai perçu un petit sens critique sur la psychologie positive. Je me posais la question de savoir, aujourd’hui il y a une démarche systématique de psychologisation dans la société, est-ce que pour vous c’est lié à cette fabrique du bonheur ?

Gwenola Wagon En fait, c’est que la psychologie positive, au départ, Émile Coué, qui invente l’auto-suggestion, tu te sens, tu vas bien, tout va mieux, nanana, méthode de très, voilà, aucun problème, ça fait partie, ça existe certainement bien avant Émile Coué, va donner naissance à ce qui va se nommer après, a posteriori, comme la psychologie positive, tu me diras, Martin Seligman et qui va faire la science du bonheur. Et lui, ça devient le scientifique du bonheur aux États-Unis qui commercialise la psychologie positive et qui fait un énorme marché avec du business, tout simplement. Et ça devient le marketing de soi, lié au mouvement New Age, etc. Et qui devient une espèce d’immense... Là aussi, on retrouve l’idée d’un individu... l’individualité poussée à son maximum Et etc etc et donc c’est ce cette psychologie là dérivée vraiment même déformée des mille couets parce que Emile Couet n’était pas du tout là dedans bien au contraire mais c’est une déformation et qui aussi va contre la psychanalyse va plutôt du côté des sciences cognitives et de la technocratie aussi finalement quoi

Public Je poussais là dessus pour entendre ça

Gwenola Wagon -Ouais, c’est la technocratie du bonheur.

Public -Et du coup, lié au développement personnel, comment vous voyez ça ? Puisque ça va avec, j’imagine.

Stéphane Degoutin -C’est pour moi.

Public -On a vu des scènes de développement personnel ?

Stéphane Degoutin -Oui, oui. Oui, après, moi, je peux que répéter ce que tu viens de dire, donc non, j’ai rien à rajouter. Mais oui, tout à fait.

Gwenola Wagon -On n’a pas nommé, mais c’est assez intéressant, dans les images des Erewhoniens, Erewhonienne d’Erewhon, il y avait pas mal de séminaires d’entreprises. de développement personnel et de ces méthodes de team building, à l’époque c’était... Ou alors, voilà, où les entreprises mettent leurs employés à faire des jeux où ils vont jouer à des trucs pour travailler ensemble, coopérer, etc. Et ces mouvements-là, là on est vraiment dans le... Dans la... ouais, tout est dit... enfin, il y a tous ces... tous ces mouvements en quelque sorte s’assemblent, en quelque sorte, dans ce côté de team building. Il peut y avoir des trucs bien en team building, c’est ça. Mais c’est vrai, enfin, le team building, un exemple extrêmement intéressant, c’est qu’en fait quand ça arrive dans l’entreprise, il y a une sorte d’obligation, c’est un peu comme le phénomène des lettres de motivation, où vous êtes obligés d’être motivés, où vous allez...

Stéphane Degoutin Alors évidemment, il y a un artiste, Julien Prévieux, qui s’est moqué de ça manière assez brillante en écrivant des lettres de non-motivation pour répondre à des annonces absurdes avec des lettres expliquant pourquoi ils ne voulaient surtout pas faire le métier qui était proposé et en expliquant de manière détaillée pourquoi. Mais la lettre de motivation en soi c’est une obligation de motivation qui est complètement absurde de même que l’injonction au bonheur en entreprise est extrêmement gênante parce qu’on va vous faire un séminaire de team building et vous êtes obligés d’être motivés avec vos collègues. peut-être de jouer à des jeux qui vous semblent drôles ou ridicules ou pas, enfin peu importe, ça dépend de chacun, on peut aimer ou pas, mais vous êtes obligés d’être heureux au travail. C’est une obligation, c’est devenu une obligation dans certains milieux. Alors là peut-être pas partout, mais dans certains milieux c’est devenu une obligation. Et ça c’est quand même effectivement extrêmement gênant, en dehors du fait même que la psychologie positive théorisée par Martin Seligman repose sur des présupposés tout à fait discutable, qui ont été beaucoup critiqués. Il a fait toute une science où il mesure le bonheur, il le quantifie, il fait des statistiques, il considère que le bonheur est une science.

Gwenola Wagon Donc là, ça va vraiment...

Stéphane Degoutin On peut aussi faire des comparaisons internationales sur le sujet. Enfin, c’est pas très très loin des plantes avec Bach d’un côté et Led Zeppelin de l’autre. on est un peu dans la même gamme.

Public Ça a à voir avec la soumission ou la résignation au bonheur.

Stéphane Degoutin Oui, c’est vraiment tout ce qui est motivation.

Public Et du coup, ça me fait penser à un autre débat qu’on a eu qui était sur la résilience où on était aussi dans le même, quand on fait une critique un peu du bonheur illusoire, et on pouvait parler de cette question, comment ça se fabrique. Est-ce qu’on n’est pas arrivé, c’est une question, est-ce qu’on peut aller plus loin dans une civilisation aussi absurde ? Est-ce qu’on n’a pas atteint des limites ? D’ailleurs, vous avez esquissé au début de votre intervention quelque chose qui ressemblait à une alternative à tout ce cyber-monde. il y aurait une réponse. Est-ce que ça, c’est pas quelque chose qu’il faudrait aujourd’hui essayer d’évaluer ? Ça donne quand même un point d’accroche, pour ne pas dire un point d’espoir, dans ce qui peut, ce qui est possible de vivre de manière différente à partir d’un monde qui est devenu complètement absurde et qui s’autodétruit.

Gwenola Wagon Déjà, quand on faisait les héréwoniens, en fait, les tâches absurdes au bureau par exemple, finalement pas longtemps après, il y a eu tous ces mouvements, des employés qui refusent de le faire, qui quittent leur travail, des démissions, des gens qui le font mal volontairement, enfin le fait de mal faire son travail parce qu’on n’est pas content c’est aussi une forme de... Et puis aussi le fait de montrer que c’est absurde, je pense qu’aujourd’hui ça devient enfin dans la jeune génération, dans les générations après nous, je pense que ça devient clair que c’est absurde. Je pense qu’il y a aussi quelque chose qui s’opère là-dessus et qu’il y a une conscience de l’absurdité de pas mal de tâches. Donc il y a aussi ces mouvements-là qui sont là en parallèle d’autres formes de résistance, mais il y a aussi le "Barthebly", quoi, je ne veux pas, enfin je le fais pas en fait, c’est trop bête, quoi. Et qui, à mon avis, c’est peut-être aussi important, la résistance à le fait de faire mal son travail, quand c’est juste absurde et débile. Enfin, nous c’est un peu comme ça qu’on fait dans notre tâche administrative. Heureusement, on s’est mis d’accord là-dessus, quand c’est débile, on le fait pas, quoi. Voilà, c’est tout. C’est juste débile. Donc, il faut juste arriver à bien faire savoir ça, et à montrer aussi l’absurdité. Moi, je pense que plus on montre l’absurdité du système, plus ça génère la conscience de l’absurdité du système et plus ça fait boule de neige ensuite donc c’est aussi un travail De pointer les aberrations quoi c’est enfin je sais pas si de pointer les aberrations dès qu’on peut quoi je sais pas comment.

Public À la fois on voit bien le côté absurde par l’accumulation de ce que vous montrez mais en même temps je trouve ça va ça pose une autre question c’est celle de notre imprégnation en fait à ces images parce qu’on est sans arrêt exposé à ça. Je pense que c’est un peu une réponse à ce que vous disiez tout à l’heure. Les marins pêcheurs, les gens qui sont très loin du monde de l’informatique ou de l’Internet ou des bureaux, ils sont quand même exposés aux images complètement blanchies. Mais en même temps, moi, ça m’arrive de les regarder, les Lol Cats, ou même de rigoler. Quand je... Enfin voilà, les images que vous montrez souvent, elles sont ultra En fait, c’est compliqué parce que vous les montrez là, on voit le côté absurde, mais en réalité, elles sont vraiment efficaces. C’est ça qui est difficile, je trouve. C’est comment arriver à comprendre le mode de fonctionnement, mais réellement efficace de ces trucs totalement absurdes. Ça renvoie un peu aussi à la question de l’exercice. Si bête qu’il soit un exercice, moi, je suis bête, j’ai envie de le faire un peu ou pas du tout. mais voilà, fermer les yeux, ça m’a fait du bien de passer une minute les yeux fermés. Donc ça questionne quand même le... pourquoi ça marche si bien quoi ? C’est pas simplement la puissance des... enfin pardon.

Stéphane Degoutin Non, non, juste pour répondre sur ça, on voulait pas du tout dire que ces exercices étaient en soi absurdes. C’est... enfin... les exercices en soi, fermer les yeux, faire de la méditation, c’est évidemment pas absurde en soi. C’était juste pris dans une idéologie qui les utilise pour un certain fin, où là ils prennent un sens différent. Mais évidemment la méditation n’a pas été inventée par le libéralisme. Et pour les images c’est pareil. C’est juste le bain dans lequel on est aujourd’hui à tel moment. Et par contre ce qui nous semble hyper important c’est l’aspect ultra massif dans lequel on est. Les images de stock, quand on a fait notre enquête sur les images de stock, on a été vraiment effaré de voir le nombre, la quantité qu’il en existe. Shutterstock, le leader du marché, a des milliards et des milliards d’images en stock. Elles sont absolument partout, à des endroits où on ne les voit pas du tout. Donc le côté massif et invisible est extrêmement frappant. Et c’est le même côté massif et invisible pour par exemple les anthropologistiques d’Amazon ou autres vendeurs en ligne qui sont des infrastructures gigantesques. Amazon, enfin c’est des chiffres comme ça qui sont dingues, mais chaque année Amazon investit 8 milliards de dollars juste dans la logistique. 8 milliards de dollars c’est un truc, voilà, c’est gigantesque, c’est vraiment des sommes. Alors ça lui permet évidemment d’avoir une position ultra dominante sur le marché, de casser la concurrence, de tuer ou racheter tous les petits... c’est des logiques ultra capitalistes tout à fait classiques, mais le côté invisible et et massif se retrouve dans quasiment tous les systèmes qu’on appelle obscurs qu’on a montré ici. Et ce côté massif, voilà, c’est le côté bain dans lequel on baigne, là, qui est... Oui ?

Gwenola Wagon Non mais je pense que la question que tu poses, elle est aussi dans ton livre. Enfin c’est ça que je trouve assez intéressant, Jean, parce que c’est vraiment... même, c’est presque la question de ton livre sur les images des camgirls, qui elles aussi sont massives parce qu’on en a des tonnes et des tonnes aussi. Et ce voyeurisme dont tu parles aussi, c’est ça qui est assez intéressant dans ton livre, c’est la manière dont finalement on est pris au piège de notre propre voyeurisme et de notre pulsion scopique. Et la manière dont ces systèmes finalement absorbent le regard et absorbent notre plaisir de voir. Parce qu’on a du plaisir à voir. et voilà, voir un petit chat qui fait miaou en chantant Bach, je sais pas, ça doit exister j’imagine, et ben ça fait rigoler et ça fait plaisir quoi, voilà c’est tout, on va pas se le cacher quoi. Enfin en tout cas pour moi. Et donc à un moment donné le problème c’est pas qu’il y a un petit chat qui chante du Bach en faisant miaou calé sur le rythme, c’est qu’il y en a des tonnes. Et qu’ils sont tous bien encapsulés dans votre iPhone et qu’il n’y a plus qu’à faire clic clic clic ils apparaissent tous les uns à la suite des autres sans jamais s’arrêter. Donc ça, c’est... En ce moment, on fait part... Voilà, on est dans ce monde-là. La question, c’est effectivement, qu’est-ce qu’on peut y faire ? Comment on peut agir ? Mais en même temps, on ne peut pas le fermer, ce monde. Ce n’est plus une boîte de Pandore où on peut faire comme ça. Donc il faut aussi apprendre à y vivre. Et j’ai l’impression que dans nos projets, on essaye d’y vivre. Parce qu’on ne va pas y mourir. Enfin, on va y mourir, mais peut-être qu’on essaye d’y vivre quand même. Et donc il s’agit aussi de le dépeindre, de le montrer, de l’ausculter, de le regarder, de l’analyser, de ne pas se leurrer parce que ça sert à rien de faire comme s’il n’existait pas, il existe. Donc il y a aussi un moment de prise, enfin c’est horrible de dire ça, mais... d’acceptation, même si... Mais évidemment on essaie de tout faire pour le changer, mais... mais d’abord il y a l’acceptation du monde dans lequel on est. Même s’il est horrible, il est là quoi, enfin ce côté là je veux dire.

Stéphane Degoutin Il y a ça, mais il y a aussi le... Ah pardon, on répond trop long et ça empêche les gens de poser des questions. Mais il y a le truc tout bête que la différence entre une drogue et un médicament, c’est la dose. C’est-à-dire qu’à un moment donné, bon, évidemment, le plaisir, la méditation, le bonheur, tout ça sont des choses tout à fait positives. Si ça devient une sorte d’addiction, évidemment, enfin voilà, c’est le problème principal. Et donc d’où l’importance de l’aspect massif des choses.

Public Ce que je trouve intéressant dans votre projet, c’est qu’il y a un côté pédagogique. Et si je ne me trompe pas, on n’est pas nés avec Internet, tous autant qu’on est là. Et nous, on a encore cette possibilité d’avoir ce regard critique en fait, et d’adhérer à ce que vous dites. Je serais curieuse de voir des collégiens, des lycéens, voir ce que vous faites et comment ils réagissent. si c’est déjà arrivé que vous le présentiez, parce que parce qu’ils ont vraiment, ils sont dedans, quoi. Et alors là, pour le coup, ils baignent, ils nagent, ça leur pose aucun problème, quoi.

Stéphane Degoutin Je ne connais pas assez de collégiens pour vous répondre. On a des étudiants, mais qui sont très triés, c’est des étudiants en art, donc c’est une population là, pour le coup, très spécifique.

Public Vous n’avez jamais eu l’opportunité de faire...

Stéphane Degoutin Si, si, on a beaucoup de retours. Moi, j’ai... enfin, nous on a des étudiants très éduqués sur ces questions-là parce qu’ils sont en culture visuelle, etc. Donc c’est pas forcément significatif par rapport à ça. J’ai le sentiment qu’on a parfois tendance à croire trop qu’ils baignent dedans, et qu’en fait ils ont parfois du recul, alors peut-être pas... Mais bon, j’ai pas envie de dire des connexions, tu vas dire un truc beaucoup plus intelligent que moi.

Gwenola Wagon Non mais en fait, je pense que dans ce... Ah bah en fait on a pas les mêmes étudiants, parce que moi je suis à Saint-Denis et j’ai des étudiants à tous les âges, y compris des étudiants qui ne sont pas forcément éduqués à l’image du tout, parce qu’ils arrivent comme ça, ils découvrent, mais j’ai l’impression que il y a aussi quand même un intérêt pour eux dans ce type de travaux de voir que des artistes s’intéressent à leur univers. C’est-à-dire que souvent, mes étudiants, quand je leur montre des films comme ça, parce qu’on a plein d’amis qui font un peu comme nous, je montre beaucoup de films d’artistes de ce type-là, dans certains cours et donc j’ai l’impression qu’il y a aussi le fait de se dire "ah oui enfin on peut raccorder avec ce qu’on vit, on n’est pas en train de faire un grand écart entre ce qu’il y a à voir dans l’histoire de l’art ou dans l’art contemporain et ce qu’on vit tous les jours". Donc c’est ça, c’est plutôt intéressant de relier des univers dans lesquels il baigne, avec une critique ou avec une histoire ?

Public Je vais essayer de faire un petit décalage, je reviens un peu sur la séquence du yoga, du rire, qui est un truc connu, mais je sais que moi la première fois que j’ai entendu parler de ça, ça m’a fait flipper complètement, parce que se guérir forcément individuellement par le rire, c’est un contexte un peu spécial. Alors du coup, ça m’a fait penser, j’ai vu une image comme ça, Bon, je pense que ça a déjà été fait, ça a déjà été dit, mais pour réactualiser un peu avec les manifs qu’on fait en ce moment là, c’est que peut-être un moment au lieu de nous gazer avec des gaz lacrymogènes, ils peuvent nous gazer avec du gaz hilarant, mais en fait ça ne changerait pas les choses, ça casserait aussi notre colère en fait. Et dans cette colère, c’est là où se crée du bonheur, c’est là que les visages se détendent, c’est là que les gens se sourient, c’est là qu’il se crée une autre espèce de bonheur, mais qui est un bonheur collectif et qui dépasse un peu tout ça.

Gwenola Wagon Oui, tout à fait. C’est juste.

Stéphane Degoutin C’est joliment dit. Et puis en fait, oui, verser du gaz hilarant, bon, ça se fait pas en manif, mais c’est un peu ce qui est fait, voilà, de manière... Enfin, c’est une métaphore pour ce qui est fait en réalité, c’est du pain et des jeux, c’est la vieille formule.

Public Moi je voudrais que vous reveniez sur le film là, sur l’histoire de... où il n’y a plus de travail, enfin, les gens ne travaillent plus, et à un moment donné vous avez fait des montages par rapport à des scènes. Ce qui m’intéresse c’est de savoir comment ça se passe. On a eu qu’un extrait.

Stéphane Degoutin Oui, on a été un peu rapide sur l’explication. C’est un projet un peu compliqué, du coup on a montré qu’un extrait. Alors si je reviens à l’origine, en 1872, il y a Samuel Butler, qui est un écrivain anglais, qui publie un livre qui s’appelle "Erewhon". Il commence à écrire ça quand il est en Nouvelle-Zélande avec des moutons. Enfin bon bref, peu importe, je vais pas tout dire. Et donc Erewhon, c’est un roman utopique où un personnage va au-delà des montagnes et découvre un peuple que personne ne connaissait, les Erewhoniens. Et ce peuple le met en prison immédiatement, le personnage du livre, parce qu’il porte une montre. Et en fait, dans cette culture, dans cette civilisation, tout objet technique est interdit parce que les Erewhoniens croient que les objets techniques peuvent évoluer selon la théorie de l’évolution de Darwin qui a été publiée quelques décennies plus tôt, et enfin, dans lequel du coup inspire le livre, mais les héréwoniens ne la connaissent pas parce qu’ils ne connaissent pas Darwin. Donc les héréwoniens croient que les objets techniques peuvent évoluer plus rapidement que les êtres humains, et donc peuvent se révéler dangereux pour eux. Donc le livre date de 1872, alors il est évidemment assez célèbre parce que c’est une théorie tout à fait étrange pour l’époque. Et donc on s’est dit "tiens, on va adapter ce livre, et on va le réadapter aujourd’hui, avec l’idée que Samuel Butler, donc le personnage du roman, revient aujourd’hui, regarde des vidéos sur YouTube et se dit "bon bah les hérévoniens se sont complètement trompés". Enfin je veux dire, ils n’ont pas du tout réussi à éradiquer les machines, ils ne se sont pas trompés, mais au contraire ils ont eu tellement raison qu’ils ont échoué dans leur désir d’éradiquer les machines parce qu’en Hérévois, dans 1872, il n’y a aucune machine. Alors oui, j’ai oublié de préciser, mais les hérévoniens évidemment ne sont pas un peuple qui ne connaît pas les machines, ils connaissent très bien les machines et c’est pour ça qu’ils les ont supprimé. Donc il y a un petit côté aussi, ça flirte un peu avec le ludisme, enfin il y a plusieurs résonances intéressantes. C’est quelque part entre le ludisme, Charles Darwin, tout ça, enfin bon. Et puis il n’y a pas que ça dans le livre, il y a plein plein plein d’autres histoires complètement folles dans le livre. Et donc on s’est dit on va adapter ça à l’époque actuelle. Samuel Butler revient, mais il revient comme une sorte de spectre. Il voit des vidéos sur YouTube et il essaye de comprendre ce qui se passe dans un monde qui est envahi de machines. Et donc le film, alors Alors là on vous a montré un passage où il n’y a pas de machine, mais tout le début du film décrit un univers dans lequel tout serait complètement automatisé, plus rien ne serait fait par des êtres humains, et donc ils n’ont plus besoin de travailler. Et donc d’une certaine manière, le film prend le parti de prendre au premier degré tous les rêves de la Silicon Valley qui promettent un univers entièrement algorithmique, réglé de manière automatique, etc. Et comme si Samuel Butler, qui lui vient du 19e siècle, le voyait comme ça, en se trompant du coup, en analysant les images de manière fausse, parce qu’il regarde des vidéos sur YouTube sans vraiment réussir à décoder les choses. Et donc tout le film est entièrement fait d’images trouvées sur YouTube, il n’y a pas une seule image qu’on a fait nous-mêmes, mais qui sont agencées de manière à faire croire que c’est un récit de science-fiction qui se passe dans un monde entièrement automatisé. Bon c’est un peu compliqué à raconter comme ça, mais c’est ça l’idée. Et donc du coup on cherche les... Voilà, c’est une sorte de fable philosophique dans laquelle on cherche les conséquences ce que ça pourrait avoir dans une dizaine de chapitres comme ça, qui durent cinq minutes chacun et qui abordent différents sujets. Les relations des chats avec les aspirateurs robots, les gens qui ne travaillent plus, qui font des jeux au bureau, un univers de spa total. Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans le film ?

Gwenola Wagon Oui, il y avait le dilemme entre les animaux qu’on mange et les animaux qu’on aime, qui ne sont pas les mêmes. Ça s’appelle Animal Amour. Les plantes qui, elles, vivent toutes seules parce qu’elles ont besoin de l’énergie solaire et de l’eau. Et jusqu’à le rêve d’ingénieur. Il y a toute une histoire sur le rêve d’ingénieur. Donc le rêve d’ingénieur de la Silicon Valley. En gros, c’est un peu le fantasme de l’automatisation qui est le rêve de l’ingénieur dans le sens où est Silicon Valley, pas l’ingénieur.

Public Oui, mais c’est quand même quelque part, c’est ne travailler plus.

Gwenola Wagon C’est alors, c’est oui, c’est – Oui, en fait, ne travailler jamais, mais c’est pas le sens de Debord. C’est pas Debord, du tout, parce qu’on est plutôt... Mais ça serait plutôt... Parce qu’en fait, dans le livre de Samuel Butler, ce qui était assez intéressant, c’est que les hérévoniens avaient enlevé petit à petit leurs machines. D’abord, ils avaient enlevé les machines les plus gênantes, puis après, et puis progressivement, ils en enlevaient à chaque fois une, et ça, c’était assez intéressant, comme ressort d’écriture parce que voilà on aurait très bien pu imaginer que...

Public – Oui qu’il fasse table rase d’un seul coup.

Gwenola Wagon – Mais en fait nous ce qui nous intéressait aussi c’était de voir que dans cette espèce d’état idyllique de ces héréwoniens qui tout d’un coup sont pris en charge complètement par un système qui tourne tout seul sans eux, finalement c’est un peu absurde parce qu’il y a un moment assez étrange. Alors évidemment on n’a pas... en fait c’est comme c’est qu’avec des images d’archives, de documents, ça raconte aujourd’hui, parce qu’en fait nous c’était l’idée de raconter aujourd’hui mais en le décalant. Donc évidemment aujourd’hui on travaille encore, c’est pas du tout ça, donc c’est un peu un aujourd’hui fantasmé.

Public – Excusez-moi, mais quand vous avez fait ce film, vous regardiez, puisque vous êtes des plasticiens, vous avez une culture cinématographique apparemment importante. Il y a un film qui aborde ça de manière connexe, s’appelle La planète interdite. Donc, là aussi, il n’y a plus de travail. La civilisation a disparu, mais il y a quelques mecs. Mais simplement, on peut tous produire sans travail.

Gwenola Wagon C’est vrai, c’est vrai. C’est un magnifique film de science-fiction d’ailleurs. Très très beau. Oui, c’est vrai. C’est marrant, moi je n’ai pas pensé à ce film quand on l’a complètement oublié, alors que j’adore ce film. Il faut qu’on le revoie. Merci.

Public Merci.

Stéphane Degoutin Et là, c’est vrai, on part vraiment, c’est pour ça que Gwenola disait que ce n’est pas très Debordien le film, on part vraiment comme si on... En fait, tout le présupposé du film c’est de dire, ok, d’accord, ce que disent Elon Musk, Jeff Bezos, on croit tout. Et on croit tout ce que vous dites. Et qu’est-ce qui se passe s’il se passe ça ? Et donc on rentre dans une sorte de délire mental d’imaginer que tout ça est vrai et que toutes les publicités entre guillemets que nous vendent la Silicon Valley existent, que tout ça est réalisé et qu’est-ce qui se passe. Voilà, c’est un peu le présupposé du film et en fait du coup ça fait écho à Samuel Butler qui lui-même était quelqu’un qui était beaucoup... – Une anticipation sociale. – Voilà, ouais. Mais Butler était quelqu’un de vraiment... C’est l’anticipation assez... Enfin c’est très étrange, c’est une manière de penser vraiment tout à fait étrange. Il a aussi écrit un livre pour écrire qu’Hamlet était une femme. Enfin, il a une imagination tout à fait... Les banques musicales. Les banques musicales aussi, voilà. Il y a plein de choses tout à fait intéressantes. Il a un chapitre d’Erewhon, enfin bon, ça c’est très actuel aussi, où il dit, voilà, bon ben, en Erewhon, on ne tue pas d’animaux pour les manger parce que c’est cruel, mais du coup, on ne tue pas non plus de végétaux parce que c’est cruel aussi. Donc, il faut que les végétaux ou les animaux soient morts de mort naturelle si on veut les manger. Sinon, on ne les mange pas. Donc du coup il y a évidemment tout d’un coup plein d’animaux et de végétaux qui meurent de mort naturelle comme par hasard à ce moment là. Enfin voilà, ils poussent les idées assez loin dans la logique des choses et le livre est structuré avec plein de chapitres mais il y a je sais pas 50 histoires comme ça dedans, c’est vraiment délirant. Bref. Les Quakers ? Les Quakers, oui ça c’est... Il est Quaker ? Ah il... Non non, pas du tout, c’est vraiment un original anglais, un excentrique anglais dans la plus pure tradition qui s’est retrouvé à élever des moutons en Nouvelle-Zélande. Et le métier de colon lui correspondait sans doute pas très bien. Et puis pour s’occuper, il a écrit des fantaisies inspirées des recherches de Darwin, et puis ça l’a emmené là-dedans. Il semble qu’il y ait un présupposé.

Public Au début, on entend "on a" ou "nous avons externalisé notre être".

Gwenola Wagon  – Ah ça c’était World Brain. On a externalisé... Oui alors World Brain c’est le début, le terrier. Là c’est l’idée qu’on externalise la mémoire, et qu’on la met dans la tête coupée de Saint-Denis. Oui c’est vraiment... A l’époque quand on l’a fait, on aurait pu dire on forçait un peu le trait en 2014 quand on écrivait. Et aujourd’hui j’ai l’impression que c’est pas non plus si faux.

Quelques livres et films évoqués pendant la discussion :

- Happycratie, Eva Illouz, ed. Premier Parallèle, 2018

- Homo confort, Stefano Boni, ed. L’échappée, 2019

- Notre pain quotidien, Nikolaus Geyrhalter, 2005